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Écrit par Sophie Coignard| Mercredi, 05 Mai 2010| Le point|

Ruinée, Laurence de Bourbon-Parme faisait confiance à son «banquier»… L’histoire pourrait nourrir un bon roman populaire, intitulé « La princesse et l’escroc ». Elle met en scène Son Altesse royale Laurence de Bourbon-Parme, blonde quinquagénaire à la décontraction étudiée, et Jacques Lobé,
un Camerounais qui se prétendait banquier international, menait grand train et assurait compter parmi les amis proches de Barack Obama. Jacques a siphonné toute la fortune de Laurence, entre autres.

Le premier chapitre s’écrit en 2008. Depuis 1999, grâce à un héritage, la princesse a cessé son activité professionnelle dans le secteur de la communication pour se lancer dans la spiritualité – elle écrit des livres inspirés sous le pseudonyme de Gemme – et le bénévolat en Inde. «J’ai un formidable sens de l’empathie, voire de la télépathie, assure-t-elle dans un sourire scintillant, rehaussé par un rouge à lèvres saumon assorti à son cardigan. Il me fallait secourir les gens dont la vie manquait de sens. Je suis donc partie sur le terrain en Inde, pour aider les femmes intouchables à retrouver le respect d’elles-mêmes. J’ai contribué à la réalisation d’un film en cours de production sur un maître indien qui a reçu la conscience des plantes et de l’univers. Mais je voulais faire plus, lever de l’argent pour créer une fondation. » Jacques Lobé, lui, est techniquement interdit de sortie du territoire français depuis 1992 pour diverses escroqueries. Par un tour de magie dont il n’a pas livré le secret, il a continué à voyager en toute liberté pendant plus de quinze ans. A l’époque où la princesse cherche des fonds, il vient d’intégrer la franc-maçonnerie et s’est fait initier à l’atelier Les Compagnons écossais de la Grande Loge de France. Ironie du sort : c’est un inspecteur des douanes qui l’a parrainé. A ses tout nouveaux frères, il se présente comme «banquier dans les hautes finances internationales en Amérique ».Tout un programme !

Il leur parle de sa société, l’Anglo-américain Crédit Union, dont il prétend, copies de pages Internet à l’appui, qu’elle finance le Pentagone et joue un rôle dans les ventes d’hélicoptères Boeing. C’est James Bond chez le grand architecte de l’Univers… Et « James », en plus, fait comprendre à demi-mot qu’il est très proche de l’équipe Obama, dont il contribue à financer la campagne. L’un des Compagnons écossais, Gérard B…, navigue entre les affaires et la politique. Il est impressionné par l’esbroufe de Jacques Lobé et envisage de créer avec lui une affaire de compléments alimentaires basée en Croatie. Ami de la princesse, il voudrait aussi aider celle-ci dans ses projets de fondation. Il lui présente donc le banquier providentiel. «Je me suis trouvée face à un homme très respectueux, très posé. Il m’a raconté qu’il avait travaillé pour plusieurs personnalités politiques de haut niveau dont Charles Pasqua, se souvient Laurence de Bourbon-Parme. Il ne courait pas grand risque à me raconter tout cela : comment pouvais-je vérifier? Cette rencontre a eu lieu au moment de mon anniversaire. J’y ai vu un signe. Je suis retournée en Inde et, à mon retour, fin mai  2008, j’ai repris contact avec lui. »

«Vendez tout.»
Jacques Lobé lui explique alors qu’il faut voir plus grand, créer une structure internationale. « Je connais  tellement de monde…», ajoute-il. Commence une de ces séances de name  dropping dont il a le secret : Tom Daschle, ancien sénateur démocrate du Dakota du Sud et conseiller d’Obama, va apporter son aide précieuse. « Vu mon importance dans le milieu bancaire, lâche-t-il, Tom souhaiterait que j’entre au cabinet Obama  s’il est  élu. » La confidence fait impression. Surtout qu’à l’issue d’un de ses supposés voyages aux Etats-Unis, l’escroc rapporte à la princesse un tee-shirt de campagne dédicacé, dit-il, de la main d’Obama en personne. Il lui  raconte comment il a monté des fonds éthiques avec des milliardaires indiens. Le grand rêve se dessine.

A la fin de l’été, alors qu’elle finit par s’impatienter de ne rien voir venir de la manne qui doit alimenter ses projets, Jacques Lobé met en garde sa nouvelle amie : «Je vais devoir partir quinze jours à New-York. Je travaille pour Goldman Sachs. Il va y avoir une crise très grave, vendez tout.» Nous sommes à la veille de  la chute de Lehman Brothers. Laurence de Bourbon- Parme liquide toute son épargne – 1,5 million d’euros- placée majoritairement en assurance vie. Mais que faire de cet argent en plein affolement  financier mondial ? L’homme providentiel est de retour, avec ses belles paroles : « Il existe un pays où tout est calme,  c’est le Canada. Placez vos avoirs à la Royal  Bank of Canada, j’y connais du monde. »
Pourquoi se méfier d’un homme qui habite un bel appartement avenue Henri-Martin, possède un tableau d’Andy Warhol et fait garer son coupé Jaguar par le voiturier de l’hôtel Grillon ? Il ne lui manque que la Légion d’honneur ! Le million et demi est donc viré sur le compte de l’Anglo-American Crédit Union, « une de mes structures qui s’occupe de microcrédit avec Tom Daschle. C’est bien, en attendant, votre argent pourra servir à des causes justes», assure l’ami imaginaire de Barack Obama et de son conseiller.

Une fois le virement effectué, l’ambiance se gâte un peu. La princesse demande où en est le projet de fondation : «J’ai beaucoup à faire, soyez patiente.» Puis elle manque de liquidités et désire retirer de l’argent. Mais elle ne va pas gâcher la fête. Obama a été élu et Jacques lui propose de l’emmener assister à l’investiture. Elle accepte. Manque de chance, les listes d’invitation sont déjà closes. Il l’emmène en Sologne. C’est moins loin, moins glamour, mais il y possède une propriété de chasse. Et puis, il reçoit désormais avenue Montaigne, où il s’est installé dans des bureaux somptueusement décorés, pour un loyer mensuel de 8 000 euros. Pour accréditer sa proximité avec Obama, il a, pendant un après-midi de travail avec son jumeau en franc-maçonnerie – initié le même jour que lui -, informaticien de son état, passé son temps pendu au téléphone, prétendument avec Washington, pour discuter de son futur poste dans l’administration américaine. Le « jumeau », impressionné, s’est empressé de rapporter ces échanges à quelques frères des Compagnons écossais. Ce Jacques Lobé, quelle bonne recrue !

A l’approche de Noël 2008, néanmoins, la princesse lui envoie un courriel plus pressant que les autres : elle a besoin d’argent, écrit-elle, pour payer des cadeaux à ses enfants et partir en vacances. Dans la foulée, elle envoie un autre message électronique à la personne que Jacques Lobé a mentionnée comme son contact à la Royal Bank of Canada. Une demi-heure plus tard, Lobé la rappelle et la tance : de quoi se mêle-t-elle ? « C’est ce coup de fil qui m’a fait basculer, raconte Laurence de Bourbon-Parme. Mon fils a téléphoné à une amie commissaire de police. Deux jours plus tard, j’étais contactée par la brigade financière, qui m’a demandé si Jacques Lobé m’avait pris de l’argent. J’ai nié et précisé que nous devions monter une fondation ensemble. La réponse a été sans appel: n’en faites rien. » Comment l’escroc aurait-il pu imaginer que la princesse si candide emploierait les grands moyens ? Elle l’invite à boire le champagne chez elle et enregistre trois heures trente de conversation, puis elle engage des détectives privés. Elle n’en revient pas : le flamboyant escroc ne voit personne, hormis une ou deux conquêtes féminines, et sort juste pour aller au cybercafé d’où il envoie ses mails comme s’il était au cœur de Wall Street. Munie de ce dossier, elle porte plainte. La police retrouve chez lui 25 clés USB, des faux papiers, de fausses lettres à en-tête de divers ministères. Et aussi une vingtaine de livres sur la manipulation mentale. «M. Lobé poursuivrait toujours ses coupables activités si ma cliente n’avait pas eu le courage de porter plainte, remarque Me Thibault de Montbrial, l’avocat de Laurence de Bourbon-Parme. Je parle de courage, car il est toujours très difficile d’admettre que l’on s’est fait berner. » Depuis, d’autres victimes ont porté plainte, même s’il semble à un enquêteur que beaucoup d’autres préfèrent rester dans l’ombre, pour ne pas passer pour des dupes ou ne pas attirer l’attention du fisc sur elles.

Un Madoff au petit pied.
Son avocat, Me Serge d’Hers, ne dément ni confirme mais précise : «II est très jovial, très lettré, et proposait des rémunérations alléchantes. » II semblerait que ce Madoff au petit pied se servait de l’argent de ses dernières victimes pour mener grand train, certes, mais aussi pour financer des projets personnels. Il était ainsi entré en relation avec les frères Bogdanov dans des circonstances que la justice n’a pas totalement éclaircies. «Il avait racheté les droits de certaines de nos œuvres pour faire une série télévisée et nous a versé une partie de l’avance prévue par le contrat. Ensuite, nous n’avons plus entendu parler de lui, raconte Igor Bogdanov, qui a été entendu comme témoin dans le dossier. Et nous sommes tombés de haut quand les gendarmes nous ont appelés. Ils avaient trouvé les traces de notre contrat au cours des perquisitions. Mais jamais cet homme, qui nous avait été présenté par des relations dans la production cinéma, ne nous a demandé de l’argent. Il nous avait dit qu’il souhaitait financer et produire une série d’émissions à partir de nos travaux. » Mais, pour le banquier imaginaire, il n’est plus question de fréquenter les riches et les célèbres pour les voler ou les séduire. Depuis plus d’un an, il dort en prison. Loin, bien loin, de Wall Street et de la Maison-Blanche.

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