Enseignements du débat et implications pour la politique économique du gouvernement

IMF_economy_coverPar  Babissakana* – Le Messager

Notre lettre de réforme (publiée par La Nouvelle Expression n° 2509 du 6 juillet 2009, Le Messager n° 2891 et Le Jour n° 0480 du 7 juillet 2009) à M. Yang Philémon, Premier ministre, Chef du gouvernement, a été formulée dans l’optique de dénoncer le caractère injustifié du prêt de 144,1 millions de $US octroyé à la République du Cameroun le 2 juillet 2009 par le Fmi et surtout de recommander l’indispensable inflexion/bifurcation de la politique économique du gouvernement en vue d’impulser une mutation profonde de notre économie telle que promise en 2004 par le président de la République, Paul Biya. Cette lettre a suscité un débat utile sur l’opportunité et la nécessité pour le gouvernement camerounais de faire de nouveau recours ou non aux financements du Fonds Monétaire International. Des tentatives de justification de cet emprunt ont été faites :
(i) le 6 juillet 2009 par Mme Malangu Kabedi-Mbuyi, représentante résidente du Fmi assistée de MM. Jean Tchoffo et Mebada respectivement président et secrétaire permanent du comité technique de suivi des politiques économiques du ministère des Finances ;
(ii) les 9 et 15 juillet 2009 par M. Lazare Essimi Menye, ministre des Finances ;
(iii) le 17 juillet 2009 par M. Victor Minkala Bilogue, ingénieur statisticien économiste, cadre supérieur émérite de banque centrale (coordonnateur du programme d’appui au système éducatif -Pase, cofinancé par la Banque Mondiale), dans un article publié par La Nouvelle Expression n° 2518 du 17 juillet 2009, Le Jour n° 0490 du 21 juillet 2009 et Repères n° 132 du 22 juillet 2009 et qui s’apparente de tout point de vue à une sorte de « motion de soutien » au Minfi et au Fmi.

Mais toutes ces tentatives de justification sont irrecevables du point de vue de la pertinence et de l’efficience économiques et dans un contexte d’intégrité et de transparence des finances publiques. Les aspects techniques fondamentaux de justification d’un emprunt auprès du Fmi sont restés sans réponses à savoir : le Cameroun a-t-il aujourd’hui des difficultés de balance des paiements justifiant un nouvel emprunt au Fmi ? Quelle est l’ampleur desdites difficultés pour justifier en plus un nouveau programme triennal de stabilisation économique appuyé par un autre prêt du Fmi ? L’indication de quelques éléments de réponse à ces deux (2) questions va nous permettre de tirer les enseignements du débat et d’explorer les implications stratégiques et opérationnelles qui restent ouvertes au gouvernement.

1 – Le Cameroun a-t-il aujourd’hui des difficultés de balance des paiements justifiant un nouvel emprunt au Fmi ?

Institutionnellement, un pays membre ne peut solliciter un emprunt auprès du Fmi que s’il a des difficultés de balance des paiements qu’il ne peut résoudre de manière autonome. Ainsi, à la différence des banques de développement et d’investissement, le Fmi n’octroie pas de crédit pour des projets identifiables et spécifiques.

Suivant la définition usuelle, la balance des paiements d’un pays est un état statistique qui retrace sous une forme comptable, l’ensemble des flux (entrées et sorties d’argent) d’actifs réels, financiers et monétaires entre ses résidents et les non-résidents au cours d’une période donnée notamment l’année. Ces flux sont retracés dans le compte des transactions courantes (échanges de biens, de services, de revenus et de transferts courants) d’une part, et dans le compte de capital (capitaux à moyen et long terme et capitaux à court terme) d’autre part. Il est généralement recommandable d’avoir une balance des paiements excédentaires ou au minimum équilibrée, tout déficit devant être financé par la diminution de son stock d’actifs extérieurs (réserves internationales) et/ou par l’obtention des financements extérieurs.

Suivant la définition du Fmi, les difficultés de balance des paiements d’un pays font référence à « une situation où le pays ne peut obtenir de financements suffisants à des conditions abordables pour faire face à ses obligations de paiement internationales » (fiche technique, Comment le Fmi participe à la résolution des crises économiques, octobre 2007).

Le Cameroun est membre du Fmi depuis le 10 juillet 1963. De 1963 à 1987 (24 ans) le gouvernement camerounais avait géré sa balance des paiements sans faire recours aux prêts du Fmi et aux financements exceptionnels. En 1985/86, malgré un taux de croissance économique de 6,8% (Pib courant 4 135 milliards de Fcfa), la balance des paiements du Cameroun était déficitaire de 28,7 milliards de Fcfa. Ce déficit a été financé par la diminution des réserves internationales du Cameroun qui se situait au 30 juin 1986 à 103,8 milliards de Fcfa. En 1986/87, le Cameroun entre en crise (récession) avec un taux de croissance économique négatif de 2,2% (Pib courant de 3 969 milliards de Fcfa) et une balance des paiements déficitaire de 141 milliards de Fcfa. Ce déficit a été principalement financé par des engagements extérieurs et en conséquence les avoirs extérieurs du Cameroun étaient devenus négatifs de 58 milliards de Fcfa (Beac, études et statistiques n°147, décembre 1987 et n° 212, Nov-Déc 1994).

En 1987/88, la crise se radicalise avec un taux de croissance économique négatif de 7,9% (le plus fort taux de récession). Les difficultés de balance des paiements contraignent le gouvernement à solliciter le tout premier prêt du Fmi au Cameroun. Ledit prêt (accord stand-by) sera accordé le 19 septembre 1988 pour 61, 8 millions de Dts. Les obligations des paiements internationaux seront assurées en 1987/88 avec l’apport des financements exceptionnels de 93,7 milliards de Fcfa dont 78,8 milliards de rééchelonnement de dette extérieure. De 1987/88 à 2006 (20 ans), les déficits successifs de la balance des paiements du Cameroun ont été, avec l’effet de levier des prêts du Fmi (condition préalable d’accès au traitement de la dette au Club de Paris) principalement financés par les rééchelonnements, les refinancements, les remises et les accumulations d’arriérés de la dette extérieure. Ainsi, le gouvernement du Cameroun a obtenu au total sept (7) prêts auprès du Fmi pour un montant total de 530,57 millions de Dts et a signé sept (7) accords de traitement de la dette publique extérieure avec le Club de Paris pour un montant total de 10 146 millions de $US. C’est ainsi qu’à la suite de l’atteinte du point d’achèvement de l’initiative Ppte en avril 2006, la balance des paiements du Cameroun est redevenue excédentaire de 380 milliards de FCFA en fin 2006. Les réserves internationales brutes du Cameroun qui étaient encore négatives de 135 milliards de Fcfa en 1999 sont passées à 337 milliards de Fcfa en 2003 puis à 864 milliards de Fcfa en 2006.

Selon les statistiques publiées par le Fmi (Rapport du Fmi n° 09/65 de mars 2009), la balance des paiements du Cameroun a été excédentaire de 375 milliards de Fcfa en 2007, est en projection excédentaire, de 329 milliards de Fcfa en 2008, de 54 milliards de Fcfa en 2009, de 55 milliards de Fcfa en 2010 et de 81 milliards de Fcfa en 2011. De plus, il est à noter que les signes de reprise de l’économie mondiale commencent à être identifiables. Les prix des produits de base (pétrole et métaux notamment) connaissent une remontée depuis avril 2009 et l’hypothèse du prix du pétrole brut récemment retenue par le Fmi (mise à jour des perspectives de l’économie mondiale, 8 juillet 2008, lien Internet :
http://www.imf.org/external/pubs/ft/weo/2009/update/02/index.htm ) est à 60,50 $US le baril en 2009 et 74,50 $US en 2010. Ainsi, malgré le choc de la crise économique internationale, les perspectives d’équilibre de la balance des paiements du Cameroun restent maîtrisables sans un quelconque emprunt au Fmi. Même s’il arrivait que la balance des paiements soit transitoirement déficitaire, les réserves internationales brutes du Cameroun sont à une position assez confortable (1 602 milliards de Fcfa en mai 2009 soit plus de 9 mois d’importations alors que la norme est de 3 à 5 mois d’importations) pour assurer le financement dudit déficit. Ainsi, en l’absence des difficultés réelles et disproportionnées de balance des paiements en 2009, l’emprunt de 144,1 millions de $US obtenu du Fmi le 2 juillet 2009 est injustifié. Par ce prêt, le Fmi donne un signal aux agents économiques nationaux et internationaux que le Cameroun est en crise et a d’énormes difficultés de balance des paiements alors que tel n’est pas le cas. En s’appuyant sur cette analyse principielle et fondamentale, les justifications de Mme Malangu Kabedi-Mbuyi et M. Lazare Essimi Menye apparaissent clairement irrecevables. Les extraits ci-après le confirment.

« On sait que les réserves du Cameroun étaient assez importantes pour lui permettre de faire face à la crise. Pourquoi n’avoir pas fait recours à ces réserves pour résoudre le problème ? ».
Voici la réponse de Mme Malangu Kabedi-Mbuyi : « C’est une question d’option. C’est vrai que le Cameroun a de bonnes réserves. Mais ce n’est pas l’essentiel. Il faut déjà regarder le déficit que la crise a causé et son impact sur l’économie. Le déficit est certes largement inférieur aux réserves dont dispose le Cameroun. Il faut noter que ces réserves ont été constituées sur une période assez longue avec d’importants efforts de gouvernance. Ces réserves ont également été constituées en grande partie avec les recettes pétrolières qui sont aujourd’hui affectées par la crise. Si on les utilise en 2009 pour résoudre une crise qui n’avait pas été prévue, qu’est-ce qui va se passer en 2010 si la crise persiste. Recourir à l’endettement permet de faire des prévisions pour l’année suivante. Il n’y avait pas péril en demeure. Mais c’est une question de prudence. Personne ne sait quant est-ce que la crise va s’arrêter donc il fallait éviter d’atteindre une situation où on va s’endetter d’avantage. 70% des recettes d’exportations du Cameroun ont été atteints par la crise économique. Le pétrole, le bois, et l’aluminium par exemple sont sérieusement affectés par la crise. Au moment de l’élaboration du budget, on a évalué le baril de pétrole à 69 dollars américains. Personne ne pouvait envisager qu’il soit à environ 38 dollars aujourd’hui » (Le Jour n° 0482 du 9 juillet 2009, page 8).

« Les experts nationaux pensent pourtant que les réserves du Cameroun à la Beac sont très costaudes et auraient dû être sollicitées pour combler le gros déficit budgétaire que le Fmi prétend boucler avec son modeste appui ! »
Voici la réponse de M. Lazare Essimi Menye : «Lorsque les différents experts qu’on a sur le marché local parlent de réserves, il faut qu’ils sachent quels en sont les mécanismes d’utilisation. Il y a une réglementation à suivre. Nous sommes un Etat organisé et nous avons, avec nos partenaires, mis librement en place un mécanisme pour gérer nos réserves en devises. C’est vrai que nous partageons ces réserves avec les autres pays de la Cemac, mais comme on dit chez nous, chaque ventre a son nombril. Nous ne devons pas compter sur les réserves d’autres pays. D’ailleurs nous sommes reconnus comme le poids lourd de la Cemac. Nous devons continuer à produire pour abonder ces réserves qui sont de 1 600 milliards de francs Cfa aujourd’hui. C’est ça qui permet de garantir notre monnaie et notre économie. Nous ne pouvons pas juste aller les prendre comme ça. Ailleurs, on a la garantie « or ». Nous ne sommes pas dépositaire d’or. Il y a aussi le stock de dollars pour garantir cette réserve. C’est le cas de la Chine dont on dit qu’elle est la plus grande détentrice de dollars américains. Nous n’en avons pas. S’il faut supprimer la relation avec le trésor français, je suis d’accord. Mais comment on fait pour garantir notre monnaie ? Notre pays veut faire face à la crise actuelle. C’est pour cela qu’il a commencé à s’organiser. Et c’est dans cet esprit que le gouvernement s’est tourné vers le Fonds Monétaire International au mois de mars 2009 pour solliciter l’appui qui est là aujourd’hui. Nous avons eu accès à un déblocage de 140 millions de dollars. ». De plus, à la question, « La révision budgétaire est-elle toujours à l’ordre du jour ? », le Ministre des Finances a précisé : «A l’époque où nous faisions nos prévisions, nous étions au sein de 50 dollars le baril. (…) Depuis le mois de mai, nous sommes passés au-dessus des prévisions et aujourd’hui, on arrive entre 60 et 70 dollars le baril. Ce qui fait que d’ici le mois de septembre 2009, le déficit budgétaire que nous entrevoyions à 160 milliards de francs Cfa, ne va certainement pas être comblé, mais nous allons entrer en lissage. Ca veut dire qu’on va ajuster progressivement jusqu’à rencontrer la ligne de projection que nous avions faite au mois de janvier 2009. Et c’est très probable que le déficit soit très réduit au mois de novembre 2009. » (Le Messager n° 2898 du 16 juillet 2009, page 9).

Le premier enseignement du débat est que le déficit budgétaire du Cameroun en 2009 (et non pas le déficit de la balance des paiements) au regard de la remontée du prix du pétrole devrait être très réduit par rapport aux 160 milliards de francs Cfa initialement prévus. Le financement dudit déficit budgétaire devait aisément se faire en puisant dans les réserves intérieures en Fcfa du Gouvernement qui se chiffraient à 543 milliards de Fcfa en mars 2009 (Beac, bulletin du marché monétaire, mai 2009). L’emprunt de 144,1 millions de $US obtenu le 2 juillet 2009 au Fmi (le Fmi ne finance pas les déficits budgétaires) en l’absence des difficultés réelles de balance des paiements a été une mauvaise option financière de la part du Gouvernement. L’hypothèse d’une mesure de prudence ou de précaution avancée par le Minfi et la représentante résidente du Fmi ne résiste absolument pas à l’analyse dans la mesure où, techniquement, la couverture d’un besoin probable de financement (déficit budgétaire 2009) pour lequel une forte incertitude plane sur le montant est faite par un financement stand-by telle que la ligne de découvert statutaire accordé par la Beac au Cameroun et dont le montant notifié le 9 janvier est de 373 milliards de Fcfa. La nature du besoin de financement (déficit budgétaire) ne justifiant pas un emprunt au Fmi, la question du prix (taux d’intérêt) est non avenue. En tout état de cause, le taux d’intérêt de 0,5%, la durée de remboursement de dix (10) ans et la période de grâce de cinq ans et demi (5,5) sont des conditions financières du Fmi qui sont constantes depuis 1987 pour ses financements dits concessionnels. Il n’y a donc ni nouveauté ni opportunité. Contrairement à Mme Malangu Kabedi-Mbuyi qui a reconnu leur importance en volume, l’on a pu noter l’incapacité de transparence du Minfi en ce qui concerne le montant des réserves intérieures en Fcfa du gouvernement. Ces réserves devraient être plus importantes que les 543 milliards de Fcfa mentionnées dans les statistiques de la Beac en comparaison aux excédents budgétaires des trois (3) derniers exercices fiscaux qui s’élèvent à 1 320 milliards de Fcfa (589 milliards de Fcfa en 2006, 496 milliards de Fcfa en 2007 et 235 milliards de Fcfa en estimation pour 2008).

2 – Quelle est l’ampleur desdites difficultés de balance des paiements pour justifier en plus un nouveau programme triennal de stabilisation économique appuyé par un autre prêt du Fmi ?

Nous avons diagnostiqué et constaté plus haut l’absence de difficultés établies, prévisibles et insurmontables de balance des paiements pour la période 2009 – 2011. Pourtant, dans la « lettre d’intention » signée le 18 juin 2009 par le gouvernement du Cameroun, il est clairement spécifié au point 19 que : « Au regard de l’ampleur de ces besoins de financement, le gouvernement est en train de mener des discussions avec ses partenaires au développement pour solliciter leur assistance. Par ailleurs, la finalisation du nouveau Document de stratégie de réduction de la pauvreté (Dsrp) est envisagée d’ici fin août 2009. Elle constituera une étape importante pour notre dialogue avec nos partenaires et jettera les bases de la discussion avec le Fmi pour un nouveau programme appuyé par la Frpc d’ici fin 2009 » (page 6).
En plus du fait que l’emprunt de 144,1 millions de $US du 2 juillet 2009 est déjà une mauvaise option de financement, pourquoi le gouvernement peut-il envisager de s’enfermer à nouveau dans un programme triennal de stabilisation économique en faisant recours à un autre emprunt Frpc (facilité de réduction de la pauvreté et de croissance) du Fmi?

Partageons les conclusions d’une note récemment publiée par le Fmi et relative à la Cemac (« The international financial crisis and global recession: Impact on the Cemac region and policy considerations », Imf Staff Position Note, Spn/09/20, July 22, 2009, accessible à: http://www.imf.org/external/pubs/ft/spn/2009/spn0920.pdf ). « The global financial crisis and recession, and related collapse in the prices of oil and other commodities, are dramatically reducing the revenue available to Cemac governments. Despite this, most Imf teams working on Cemac countries have not called for the governments to reduce expenditures in 2009 in response to the latest developments12. The perception is that during the oil price boom the governments (except Car) accumulated fiscal savings, which they can and should use to finance the resulting overall fiscal deficits, and that reductions in spending would be pro-cyclical and thus aggravate the economic slowdown being felt in all Cemac countries. While this makes sense for individual Cemac countries, the question remains as to whether this advice makes sense, in the aggregate, for the Cemac region, or whether it would result in a rapid and worrisome reduction in the region’s international reserves. To attempt to answer this question, the Cemac teams undertook the following exercise.

Each team projected the overall fiscal and trade balance, and balance of payments, for 2009–11, based on the current expenditure plans of their authorities. These estimates were undertaken for two scenarios. First, the projections were done using the April Weo projected prices of oil. Second, the projections were repeated using the prior Weo oil price projections, which were $8–10 lower than the current forecasts. Appendix Table 1 presents the resulting reserve coverage, given current expenditure plans. Using either Weo’s April or previous price forecasts, the projections seem reasonable. International reserves decline but stay above the minimum of 5 months’ import coverage in 200913, before rising again starting in 201014.” (pages 16-17).

Dans une perspective de management public passif où le gouvernement doit seulement subir et réagir face aux événements et à la dynamique de développement, nous approuvons la recommandation relative au financement des déficits budgétaires par l’utilisation des réserves intérieures en Fcfa. Mais pourquoi cette recommandation n’a-telle pas été observée pour le cas du Cameroun par le Fmi lui-même ? C’est de toute évidence la faute de notre gouvernement. La recommandation de l’utilisation du stock des réserves internationales est également pertinente pour assurer les obligations des paiements internationaux au niveau de la Cemac pendant la période 2009-2011. Cette recommandation confirme effectivement pour le cas du Cameroun, l’absence prévisible de difficultés de balance des paiements induisant la non pertinence et l’inefficience économiques de l’hypothèse d’un nouveau programme de stabilisation économique appuyé par un prêt du Fmi

Mais au lieu de se confiner dans ce registre de management public passif du type Fmi, intégriste de la stabilité macroéconomique, nos recommandations d’élaboration et de mise en œuvre d’un plan pluriannuel de relance économique dans l’optique des grandes ambitions du président Paul Biya, se situent plutôt dans le registre de management public proactif où le gouvernement anticipe sur les événements et provoque avec audace les mutations économiques nécessaires à l’accélération de la dynamique de progrès et du développement.

Le deuxième enseignement du débat est que l’une des maladies cognitives les plus violentes et dévastatrices dont souffre une frange importante de nos dirigeants et qui nous semble être la source principale de nos médiocres performances politiques, économiques, sociales et culturelles est le philistinisme. C’est ce que Achille Mbembe appelle « la passion de l’ignorance et de la méconnaissance, l’ignorance qui se prend pour du savoir ». L’ignorance fait référence à l’absence ou au défaut de connaissances opérationnelles. L’exercice bien courant dans notre société qui permet à certains dirigeants d’ériger leur ignorance en vérité d’évangile fruit du culte de la force du seul décret présidentiel constitue une pratique symptomatique du philistinisme. L’enclavement cognitif et/ou le cloisonnement mental en constituent des conséquences très dommageables pour nos capacités et nos aptitudes prospectives, stratégiques et opérationnelles. Dans une approche pathologique, « la théorie du complot obscurantiste (conspiracy theory of ignorance) qui interprète l’ignorance non pas comme un simple défaut de connaissance, mais comme l’ouvrage de quelque puissance inquiétante, origine des influences impures et malignes qui pervertissent et contaminent nos esprits et nous accoutument de manière insidieuse à opposer une résistance à la connaissance » (Karl Popper, « Des sources de la connaissance et de l’ignorance », Editions Payot & Rivages, 1998, page 13) peut être d’une utilité analytique avérée dans le contexte actuel d’une politique économique inappropriée en présence des ressources abondantes.

La première illustration de ce mal est palpable dans les propos ci-après du ministre des Finances. « Nous devons continuer à produire pour abonder ces réserves qui sont de 1 600 milliards de francs Cfa aujourd’hui. C’est ça qui permet de garantir notre monnaie et notre économie. Nous ne pouvons pas juste aller les prendre comme ça. Ailleurs, on a la garantie « or ». Nous ne sommes pas dépositaire d’or. Il y a aussi le stock de dollars pour garantir cette réserve. C’est le cas de la Chine dont on dit qu’elle est la plus grande détentrice de dollars américains. Nous n’en avons pas. S’il faut supprimer la relation avec le trésor français, je suis d’accord. Mais comment on fait pour garantir notre monnaie ? » (Le Messager n° 2898 du 16 juillet 2009, page 9). C’est le ministre des Finances du gouvernement de la République du Cameroun qui parle aux médias nationaux et internationaux ! L’image d’une République de paille ignorante des mécanismes monétaires (domaine de souveraineté par excellence) est étalée au grand jour de l’espace planétaire. Les connaissances codifiées et accessibles à l’heure actuelle établissent clairement que les réserves de change ne garantissent nullement une monnaie et encore moins une économie, mais elles en découlent. Les réserves de changes constituent des avoirs ou actifs financiers extérieurs qui servent en l’occurrence à assurer les paiements internationaux d’un pays. La valeur d’une monnaie ou son pouvoir d’achat se décline en valeur interne d’une part, et en valeur externe d’autre part. Sa valeur interne est inversement proportionnelle au niveau général des prix (ou à l’inflation) exprimé en cette monnaie. Sa valeur externe s’apprécie à travers le taux de change réel (taux de change nominal corrigé par les écarts de prix internationaux). La politique monétaire vise à préserver la stabilité de la valeur interne et externe de la monnaie.

La deuxième illustration est donnée par ces autres propos du ministre des Finances. En février 2009, il a déclaré, nous citons : « Nous n’irons plus chercher l’argent au Fmi. Pour l’instant, le gouvernement envisage un accompagnement du Fmi pour que nous ayons des garanties nécessaires pour obtenir les financements dont nous avons besoin pour conduire les projets de développement du pays. » (Mutations n° 2336 du 5 février 2009). Cette prétention malheureuse à ériger le Fmi en pourvoyeur de garanties pour la levée des financements internationaux est relayée par le militant du Minfi, M. Minkala Bilogue, en ces termes : « Etant alors donné que le nouveau Drsp sera bientôt disponible, son financement qui impliquera un recours massif aux financements extérieurs conduit stratégiquement le gouvernement du Cameroun à soigner ses relations avec le Fmi qui est par ailleurs une Agence chargée de certifier la crédibilité des signatures des pays sur le plan économique et financier aux yeux des autres bailleurs de fonds. » (La Nouvelle Expression n° 2518 du 17 juillet 2009, page 10). Mais la réalité du financement international d’un pays en développement qui veut progresser est toute autre. Le tableau ci-après donne l’évolution des flux nets du financement international des pays en développement de 2000 à 2008 en milliards de $US. Il est indiscutable que le segment des financements publics (flux nets de capitaux publics) du développement est extrêmement marginal lorsqu’il n’est pas négatif.

Source: World Development Finance 2009, The World Bank, page 40, e= estimation

Sans négliger l’interdépendance des marchés, le Fmi ne joue un rôle effectif que sur ce segment marginal du marché des capitaux internationaux et en particulier dans le cadre du Club de Paris lors qu’un pays a des difficultés de balance des paiements. Et même parmi les institutions qui offrent les garanties, le Fmi n’y figure guère. Mais lorsqu’un pays veut mobiliser des financements internationaux importants pour financer ses projets d’investissement et de développement, c’est le marché des capitaux privés qui est le segment incontournable. Dans cette perspective, ce sont les agences privées de notation financière qui évaluent la qualité des signatures des pays. La mobilisation des investissements privés étrangers dont nous avons besoin par exemple ne se fait pas en signant des programmes avec le Fmi.

Le troisième enseignement de ce débat est que le gouvernement du Cameroun a aujourd’hui cruellement besoin de bons conseils en stratégie de politique économique. Les conseillers auxquels le gouvernement fait recours jusque-là cherchent uniquement à vendre leur argent d’où l’impérieuse nécessité de les disqualifier pour conflits d’intérêts manifestes. Notre recommandation à cet égard est de solliciter des conseillers économiques indépendants des bailleurs de fonds tels que le Fmi, la Banque Mondiale, etc. L’accès au savoir et à la connaissance n’a jamais été aussi aisé qu’aujourd’hui avec la diffusion des technologies de l’information et de la communication. Pendant que nous vivons déjà l’ère de l’économie du savoir, de la société de l’information et de la connaissance, nous avons le devoir citoyen de lutter pour le recul de l’obscurantisme et l’avènement des politiques publiques pertinentes et efficientes parce que critiquées, éclairées, débattues et informées, allant dans le sens de la création d’une valeur maximale pour les citoyens.

* Ingénieur Financier
Yaoundé le 30 juillet 2009




 

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