On parie dans le dos du Pmuc à Bépanda

Écrit par Assongmo Necdem| Vendredi, 09 Avril 2010| Le Jour |

Tout est calqué sur l’activité du Pari mutuel urbain camerounais (Pmuc). Seulement, les jeux se font dans l’informel. Des individus se sont organisés et tiennent des paris parallèles sur les courses de chevaux qui se déroulent en France. Le pari par derrière s’est développé dans ce quartier populaire.

On dirait que l’hippodrome de Paris Vincennes en France s’est déporté au quartier Bépanda, à Douala au Cameroun. Le pari par derrière a élu domicile au lieu dit « Carrefour le pauvre. » Tout se passe sur la véranda d’une vieille bâtisse située en bordure de route et abritant un bar et un salon de coiffure. Un enclos en bois a été érigé pour créer une espèce de salle de jeux qui a tout l’air d’un baraquement. Ce vendredi 2 avril  2010, de toutes les courses programmées à Vincennes, là-bas chez les Blancs, une seule intéresse les Camerounais : le prix Amalthéa qui se court à 19h 20mn, heure du Cameroun. Sur la ligne de départ, 15 chevaux au trot attelé, c’est-à-dire traînant chacun un chariot. 240 millions de F.cfa c’est le « banko » mis en jeu par le Pari mutuel urbain camerounais (Pmuc), la société de courses hippiques agréée du pays.

Les cagnottes sont de loin inférieures au pari par derrière de Bépanda, que ce soit à Champions league, à Hippodrome, à la Cagnotte, à la cagnotte Kazire de Guez ou encore chez Armand millions. Autant d’opérateurs assimilables à des sociétés de jeu comme le Pmuc. Mais ici on les appelle des tableaux ou encore des « katikas » pour coller à un parler bien camerounais. « C’est la photocopie conforme du Pmuc. La différence fondamentale réside dans le fait que nous évoluons dans l’informel et non dans l’illégalité. Et donc nous ne pouvons pas par exemple faire de la publicité sur notre activité », déclare Hilary membre de l’équipe Champions league. Pour chacun de ces cinq opérateurs, les bureaux se résument à des tabourets, des bancs et des tables. Au total 13 personnes occupées à consigner les pronostics des parieurs sur des fiches. Ils travaillent à plusieurs sur une même table.

Champions league a décidé de casser la tirelire. « Ce vendredi le grand partage. 50.000 F.cfa au couplé placé à partager. » Le message est assez clair sur cette plaque expressément accrochée à un mur de manière à être vue de tous. Cette cagnotte sera additionnée à la mise du jour. Une rondelette somme d’argent en perspective qui ne laisse personne indifférent. Surtout si on s’en tient aux gains de la veille encore affichés sur les tableaux. 158.000 F.cfa au 2 sur 4, 382.000 F.cfa au tiercé, 131.000 F.cfa au couplé placé. Le partage le plus juteux a été enregistré au tiercé avec 10.600 F.cfa pour chacun des 32 gagnants. Les chiffres ne sont pas très différents chez les autres  opérateurs. C’est en pointant du doigt toutes ces sommes d’argent que Marie, bayam sellam, revendeuse au marché de Bépanda double balle, explique sa présence au pari par derrière depuis deux ans. «Je viens ici chaque jour après le marché. Aujourd’hui, j’ai misé 200 F.cfa  pour deux combinaisons, l’une au tiercé et l’autre au super 6». La journée sera bien longue pour cette mère de six enfants, qui attend sur place la course prévue à 19h 20mn.

Avec 100 F.cfa, gagnez le million

Les mises ne font pas moins rêver même si les gains sont de loin inférieurs aux 240 millions de F.cfa annoncés en partage au Pmuc. Il faut tout juste 100 F.cfa pour parier par derrière. Or, 400 F.cfa au moins sont exigés au kiosque du Pmuc situé juste à côté. «Les bénéfices ne sont pas aussi modestes puisqu’un parieur a déjà remporté 1.975.000 F.cfa», rappelle Hilary. Beaucoup multiplient les paris comme André qui vient de miser 8.700 F.cfa soit 87 coups repartis au Tiercé, au couplé et au 2 sur 4. Pour couvrir un maximum de jeux Abdou a joué à Champions league et à la Cagnotte Eto’o ; les deux opérateurs s’étant entendus, pour limiter la concurrence, et ne pas proposer les mêmes produits, exception faite du tiercé. En tout cas, au pari par derrière de Bépanda, on n’a que l’embarras du choix entre le tiercé, le couplé placé, le couplé gagnant, le 2 sur 4, le super 6 et même le quarté qui n’existe plus au Pmuc. Et quel que soit le jeu choisi, la mise demeure à 100 F.cfa. «Le pari par derrière me permet de multiplier le peu d’argent dont je dispose afin de jouer ensuite au Pmuc. Hier, j’ai gagné 5.000 F.cfa que j’ai, en grande partie, misés au quinté pour le pari de 240 millions de F.cfa annoncé. » Rostand est également mu par l’appât du gain. Au finish tout le monde est parieur, même les «katikas».

Parieurs par derrière et joueurs au Pmuc

«Les adeptes du pari par derrière sont d’abord des clients du Pmuc. Aujourd’hui, chacun est attiré par les 240 millions annoncés au kiosque », affirme cette employée à la Cagnotte Eto’o. A l’observation, la plupart des personnes font singulièrement un tour au kiosque Pmuc. Beaucoup reviennent avec un exemplaire de «Turf». Ils se plongent alors dans la lecture de ce journal hippique distribué gratuitement, tout en y griffonnant. Au terme de cet exercice cérébral, chaque joueur fait valider son ou ses pronostics pour la course. Chaque joueur a son nom de parieur sous lequel il valide ses pronostics de course. A quelques exceptions près, les katikas connaissent l’identité des personnes qui se présentent à eux. «Ce sont généralement les mêmes qui viennent parier. Nous nous connaissons déjà presque tous», soutient Hilary. En cas de besoin, il ne manque pas de faire quelques suggestions à ses clients. «Tous les matins je parcours la presse hippique : Tiercé magazine, Bilto et Turf», affirme le jeune homme.

11h, et Hilary a déjà rempli deux fiches, synonyme de 200 paris enregistrés. Ses collègues sont presque au même niveau. Et les clients ne cessent d’arriver même si ce n’est pas encore la grande affluence. «Si la course était prévue à 13h ou 14h, il y aurait un monde fou et nous serions débordés actuellement. Mais comme la course du jour est prévue en nocturne, la journée est loin d’être terminée, l’affluence, c’est tout à l’heure», assure une des jeunes filles employées à la Cagnotte Eto’o. A 14h, ses consœurs et elle s’offrent même une pause.

La pression est montée d’un cran après la trêve. Il y a déjà des bousculades autour du kiosque Pmuc dont la fermeture est prévue à 17h 30mn. Le tenancier ne dispose déjà plus d’exemplaires de journaux. Ça commence aussi à se saturer côté pari par derrière. Le lieu est de plus en plus bruyant.  Les uns et les autres se titillent mutuellement sur leurs pronostics de course. A peine cette femme a validé son jeu qu’un jeune homme lui annonce qu’elle a choisi un non partant. A côté, une autre voix essaie de la consoler. «Je gagne souvent, donc si je perds aujourd’hui il n’y a pas de quoi pleurer. Je joue depuis des années», réplique la parieuse sans  perdre sa bonhomie. Avec ses interlocuteurs, elle se lance ensuite dans des explications sur les chances de victoire d’un cheval monté par un driver comme Jean Michel Bazire, sur les chevaux mal placés que sont les tocards ou encore sur la difficulté à pronostiquer sur les épreuves avec de nombreux favoris. «Quand je sens une course, je multiplie mes chances de gain comme la fois où j’ai gagné 52.000 F.cfa. Certaines personnes jouent jusqu’à 100 coups», enchaîne la dame.  A côté ce n’est pas la même sérénité. «J’ai de gros soucis financiers. J’ai misé tout ce que j’avais. Si je ne gagne pas je suis fichu», confie un joueur.

Le show de la nuit

Le cheval N°6 est finalement annoncé non partant. Quelques joueurs se précipitent pour modifier leurs jeux précédemment validés, non sans être agacés. Certains imaginent des scénarios catastrophiques comme par exemple une victoire du 15 et du 14, les chevaux les plus joués. Dans ce cas, le grand nombre ferait chuter les profits. Un joueur éclate de rire à l’idée que chacun pourrait alors s’en tirer avec 300 F.cfa.

Les places assises manquent et il n’y a même plus où se tenir. Arrivés depuis peu, les contrôleurs reconnaissables par leur chasuble vert ou rose essaient de mettre un peu d’ordre. Les nouveaux venus font leurs jeux dehors et n’entrent que pour les valider. Certains ne trouvent pas mieux que de s’asseoir par terre pour cogiter seul ou par petits groupes.

Tout à coup, la voix d’un contrôleur s’élève dans le brouhaha. A 18h 50, commence ainsi le show final. «Il reste 25 minutes, faites vos jeux, c’est la nocturne. Ah oui gagnez la cagnotte de 80.000 F.cfa. Le grand partage c’est aujourd’hui et non demain. Au kiosque c’est 400 F.cfa, vous payez 100 F.cfa. Ça court, ça court.» La même voix reviendra à intervalles irréguliers haranguer les joueurs et surtout rappeler le compte à rebours. 18h 45. «Arrêtez, arrêtez ….», les cris du contrôleur n’y font rien. Les retardataires tiennent à se faire enregistrer. Jusqu’à 19h,  les paris se poursuivent chez Armand millions. D’où les plaintes de quelques joueurs qui craignent la fraude. Un refus catégorique est opposé aux personnes qui veulent changer leurs jeux.

Les dernières fiches de paris sont affichées sur les tableaux. Le petit bar est déjà plein à craquer. On attend la course qui devrait bientôt débuter. Les yeux rivés sur le téléviseur installé au comptoir. D’aucuns sont restés dehors. De toute façon, les résultats seront communiqués. La course est à peine terminée que des voix s’élèvent pour annoncer l’arrivée officielle : 1, 2, 14, 15, et 10. Certains jubilent à l’inverse des autres, médusés, qui s’en vont déjà. En quelques minutes l’affluence a considérablement baissé. Sa bouteille de bière en main, un gros monsieur déambule en criant à tue tête : «Laissez passer les gagnants. »

Avant le partage des gains, il faut compulser les fiches de paris afin de recenser les vainqueurs. Un travail de fourmi qui requiert vigilance et concentration. Les contrôleurs ont d’ailleurs érigé un cordon de sécurité à l’aide d’une fronde. Ainsi les « katikas » peuvent travailler en toute sérénité. Dans chaque catégorie du jeu, les combinaisons gagnantes sont soulignées au marqueur. Le travail se fait sous les regards anxieux des parieurs qui croisent les doigts pour qu’il n’y ait pas trop de gagnants. A la Cagnotte Eto’o, un homme vient d’empocher tout seul les 85.800 F.cfa du quarté. Paul partage les 148.000 F.cfa du tiercé avec quatre autres personnes. La route est encore longue pour ce photographe domicilié au quartier au quartier Ndogpassi. Beaucoup programment d’aller célébrer le gain. La bière coulera certainement à flots. A 22h, les dernières personnes quittent le pari par derrière de Bépanda. Rendez-vous demain pour une autre course encore plus excitante. Plusieurs cagnottes ont été reportées. Alors les gains s’annoncent plus importants.




 

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