Election présidentielle : la nouvelle règle du jeu

Au cours de la récente session extraordinaire de l’Assemblée Nationale, le législateur a procédé à une importante modification de la loi du 17 septembre 1992 régissant l’élection et la suppléance à la présidence de la République. C’est la deuxième fois, en près de vingt ans d’existence, que ce texte est retouché, après la modification du 9 septembre 1997. Le texte adopté récemment, au-delà de son adaptation aux évolutions de l’environnement juridique du pays, est un remaniement substantiel de la règle applicable jusque-là, laquelle apparaît à notre sens sous un aspect technique et rédactionnel nettement amélioré, de lecture plus cohérente, plus digeste que la version antérieure, laquelle comportait de réelles lourdeurs de style. Cette évolution normative était attendue, au regard de la pratique antérieure d’adaptation de la règle aux évolutions de la norme constitutionnelle, même si on pouvait l’attendre sous une forme différente, celle du code électoral notamment.

Conformité et cohérence, tels sont les maîtres mots et les principaux objectifs affichés par les auteurs du projet de loi déposé à la Chambre. Conformité avec la révision constitutionnelle du 14 avril 2008, au sujet de la suppression de la clause de limitation des mandats à la présidence de la République, et des changements relatifs à la durée de l’intérim ainsi qu’aux prérogatives du président intérimaire. Démarche apparemment technique, mais dont on peut se demander si elle ne soulève pas, au plan juridique, la question de l’applicabilité automatique au mandat du président en fonction de la nouvelle clause constitutionnelle de rééligibilité sans limitation du nombre de mandats.

La révision constitutionnelle du 14 avril 2008 peut-elle avoir eu pour effet, et si oui sur quelle base, de changer la nature du mandat en cours du président de la République, d’un mandat obtenu du peuple en 2004 sous les auspices de la clause constitutionnelle de limitation des mandats, en un mandat renouvelable indéfiniment, en l’absence de toute précision de cette nature dans le texte constitutionnel même, à l’instar de ce qui avait été prudemment fait dans les dispositions transitoires lors de la révision du 18 janvier 1996 ? Evidemment, la question intéresse plus les amateurs de controverses doctrinales que les états-majors politiques qui se préparent déjà, sans états d’âme juridiques, à battre campagne…

Cohérence avec la loi du 21 avril 2004 portant organisation et fonctionnement du Conseil constitutionnel, à l’effet d’harmoniser les modalités de constat de l’empêchement définitif du président de la République et d’ouverture de l’intérim. Le Conseil doit le faire par un vote à la majorité des deux tiers. Cependant, la cohérence n’est pas encore achevée car dans la loi de 2004 le Président de l’Assemblée Nationale saisit le Conseil «après avis conforme du Bureau» de l’Assemblée, alors que dans le texte présenté à la Chambre, l’avis du Bureau est omis, ce qui est loin d’être un détail.

Sans oublier que les conditions de saisine du Conseil doivent être fixées «par voie réglementaire»…, autre source d’incertitude dans une matière qui semble exiger une urgente clarté. Cohérence recherchée avec la mouture de 2010 de la loi régissant ELECAM, laquelle a réintroduit les commissions électorales dans la régulation du processus électoral. Cette démarche, déjà prévisible pour les autres textes législatifs en matière électorale, et qui renforce l’argument en faveur d’un véritable code électoral, aura consisté pour l’essentiel à consacrer dans la loi électorale les prérogatives octroyées à ELECAM, et à refléter le désengagement de l’administration territoriale du centre du management des élections.

D’un point de vue de technique juridique, il est permis de se demander si c’est dans les différentes lois électorales, et non dans le texte régissant ELECAM, que l’on devrait procéder aux ajustements institutionnels concernant les commissions électorales du fait de l’arrivée de ELECAM, quitte par la suite, si l’on tient à conserver les textes distincts selon le type d’élection, à y renvoyer. En tout état de cause, qu’il s’agisse des listes électorales, des cartes électorales, des commissions locales de vote, de la gestion des candidatures, etc. le MINATD avec ses préfets, sous préfets, chefs de district, perdent leur visibilité législative antérieure, au profit de ELECAM et de ses démembrements, sous réserve de la participation de l’administration au fonctionnement des diverses commissions.

Bien sûr, on peut s’étonner que l’on ait maintenu dans le projet de loi la possibilité pour une commission de révision des listes électorales de siéger avec un seul membre… Mais il est clair que l’on a voulu marquer l’exclusion de l’administration de la gestion des différentes phases et opérations liées aux élections. La composition des commissions a été rééquilibrée en faveur des instances de régulation que sont le Conseil constitutionnel et Elecam, et cela est perceptible en ce qui concerne notamment la Commission nationale de recensement général des votes.

Le texte adopté comporte des innovations : la période de révision ou de refonte des listes électorales, allant du 1er janvier au 31 août, le cautionnement à verser par les candidats à la présidence de la République élevé à 5.000.000de FCfa , l’intervalle de temps entre la convocation du corps électoral et le jour du scrutin est de 40 jours, dix de plus que dans l’ancienne mouture de la loi, mais 50 de moins que pour les élections législatives et municipales… De nouveaux délais ont été proposés (y compris celui de l’article 63 -1 du projet de loi, dont la conformité à l’article 49 de la Constitution est douteuse) lesquels doivent être bien maîtrisés par les acteurs de la joute électorale. C’est du reste le grand enjeu de ce type de réforme législative opérée à la veille de l’élection : son appropriation par les différents acteurs, lorsque l’on sait que l’un des grands problèmes de la scène électorale camerounaise est la connaissance approximative par les acteurs de la règle de droit pertinente et applicable.

Par Alain Didier Olinga | 22 Avril 2011| Mutations|

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