Assemblée nationale : Un député européen embarrasse le gouvernement

A l’ouverture de l’assemblée Acp/Ue, Louis Michel a plaidé pour la tenue des élections libres et transparentes en Afrique et cela n’a pas plu à tout le monde.

Réputé pour son flegme, le vice-Premier ministre en charge de la Justice, Amadou Ali, était particulièrement agité hier durant la cérémonie d’ouverture de la 6e Assemblée parlementaire paritaire Afrique caraïbes pacifique/Union européenne pour la région Afrique centrale. L’ «instabilité» du vice-Pm a coïncidé avec la prise de parole du co-président de cette assemblée paritaire, par ailleurs député européen et ministre d’Etat du Royaume de Belgique, Louis Michel. Comme pour fixer les esprits, le député de l’Ue indique d’entrée de jeu à l’assistance, notamment les membres du gouvernement, avec en tête le Premier ministre, Philemon Yang, qu’il va prendra des libertés dans son propos, du fait qu’il s’exprime au sein d’un Parlement.

Louis Michel élaborera d’abord sur l’intégration régionale des pays Acp, l’un des axes-clés de l’accord de Cotonou, qu’il trouve encore très limitée. Le ministre belge évoquera ensuite les échanges commerciaux qu’il estime marginaux entre les pays de l’Afrique centrale.

Lesquels préfèrent commercer avec l’Inde, la Chine et l’Europe. Aussi s’indigne-t-il des importations massives de riz, de coton et des engins à deux roues par certains Etats africains. Plus loin, l’eurodéputé note le déphasage entre les potentialités des pays de cette zone et leur niveau de développement économique. Deux causes à cela, selon le député européen : la mauvaise gouvernance économique et politique.

Du coup, une onde de fébrilité parcourt le box des membres du gouvernement. Amadou Ali chuchote dans l’oreille du ministre chargé de Relations avec les Assemblées, Grégoire Owona, qui joue le serein. Louis Michel poursuit son envolée verbale. Il déclare que le développement des pays africains ne peut plus se limiter à la fourniture de l’aide au développement. Le Garde des sceaux fait alors mine d’avoir le nez dans la plaquette de l’évènement, mais on le sent perturbé. L’ancien commissaire européen, quant à lui, est intarissable. Il embraie sur le volet lié à la paix, la démocratie et les droits de l’homme en Afrique centrale. Et remarque l’immobilisme des Etats africains avant d’exhorter à la tenue d’élections « transparentes et démocratiques ».

Nuages
Alors que d’aucuns présentaient déjà la fin de son discours, Louis Michel annonce une « digression ». Pour parler des « révolutions dans le monde arabe ». Le député soutient que ces évènements auront des « répercussions directes sur le reste de l’Afrique. Chaque gouvernement devra pour cela adopter une nouvelle grille de lecture géostratégique. On n’est plus dans le même monde. On ne peut plus cacher quoi que ce soit. Tout se sait. Le savoir et l’information sont désormais accessibles pour tout le monde. Cependant, toutes les révolutions ne sont pas éthiquement légitimes. Il faut donc prendre garde au mimétisme. Cela dit, nous devons rester attentifs à ces nouveaux paramètres », souligne-t-il.

Il n’en fallait pas plus pour déclencher un branle-bas au sein de l’hémicycle. Sur recommandation d’Amadou Ali, Grégoire Owona, voisin immédiat d’un Philemon Yang impassible, fait tenir un bout de papier à Louis Michel. Lorsqu’il découvre le contenu de la «missive», le député européen lâche placidement : « Ah, je n’ai pas vu le temps passer ». Il n’arrête pas pour autant son propos. Cette fois, il fait un détour sur les Ape. Le chef de protocole du président de l’Assemblée nationale fait alors pression sur la suite de l’eurodéputé. Cavayé Yéguié Djibril quitte discrètement l’hémicycle.

Amadou Ali, pour sa part, se retourne vers le secrétaire général du comité central du Rdpc, René Emmanuel Sadi et pointe du doigt les horaires de la cérémonie d’ouverture, comme pour s’offusquer des « débordements » de Louis Michel. M. Sadi acquiesce du bonnet avec désinvolture.

Comble de surprise, à la fin de son discours, le parlementaire de nationalité belge quitte directement l’hémicycle, le pas alerte. Le co-président Acp/Ue, côté africain, David Matongo prend la parole. Peu après, Cavaye Yéguié regagne son siège. Il est curieusement rejoint sur l’estrade par Amadou Ali, qui crachera des mots pendant une demie dizaine de minutes dans le creux de l’oreille du Pan. L’échange est mystérieux.

La cérémonie d’ouverture s’achèvera par une photo de famille, sans Louis Michel. Dans l’entourage du Pan, l’on fait savoir que ce dernier avait audience à 11h avec le chef de l’Etat au Palais de l’Unité, d’où son départ précipité. Des aveux qui n’ont pas dissipé le constat du malaise autour de la prestation du député européen au Palais de verre hier, au moment où le ciel des relations entre le Cameroun et l’Union européenne n’est pas sans nuages.

Louis Michel, l’Africain incompris

Ancien ministre belge des Affaires étrangères et commissaire européen au développement et à l’action humanitaire, Louis Michel est réputé comme un avocat infatigable de l’Afrique dans les fora internationaux. Promoteur d’une diplomatie éthique, du temps où il était à la tête de la diplomatie belge, Louis Michel est d’avis qu’une coopération éthique doit faire en sorte que les pays africains puissent entrer dans la dynamique économique mondiale. Cette coopération doit également, de son point de vue, aider massivement ces pays à faire émerger une petite classe moyenne, par l’accès aux capitaux et aux technologies. Le premier étant lié à la question de la remise de la dette. Dans ce sens, lors d’une visite au Sénégal, Louis Michel avait jeté une pierre dans le jardin de l’Europe : «Que l’Afrique soit un peu le destin prolongé de l’Europe qui ne mesure pas toujours très bien à la fois son devoir vis-à-vis de l’Afrique et ce qu’elle pourrait tirer comme positionnement géostratégique intéressant (…) dans une relation privilégiée avec l’Afrique».

Pas du tout étonnant que l’eurodéputé, fort des thématiques inscrites au programme de la 6e assemblée parlementaire paritaire, invite les chefs d’Etats de l’Afrique centrale à appliquer les principes de la bonne gouvernance dans leurs pays et à faire de l’intégration régionale un impératif catégorique. De plus, en cette année riche en élections sur le continent africain, son plaidoyer pour des élections libres et transparentes n’est pas malvenu lorsqu’on a à l’esprit les convulsions post-électorales de la Côte d’Ivoire, où Louis Michel appelle Alassane Dramane Ouattara à faire de la paix et la réconciliation nationale son premier cheval de bataille. Dans la même veine, en fin connaisseur de l’Afrique, le ministre d’Etat belge n’a pas oublié le proverbe selon lequel quand la maison du voisin brûle, la nôtre n’est pas à l’abri. Pas du tout surprenant qu’il exhorte les dirigeants africains à être attentifs aux révolutions dans le monde arabe.

L’archevêque métropolitain de Yaoundé, Mgr Victor Tonye Bakot l’avait devancé sur ce terrain dans son homélie pascale, qui indiquait que la classe politique camerounaise doit se sentir interpellée par le « printemps arabe ». La fébrilité des autorités camerounaises hier au Palais de l’Assemblée nationale est donc en tous points de vue surprenante. Si d’aucuns ont trouvé à tort ou à raison dans la posture de Louis Michel un zeste de « donneur de leçons » ou d’un iconoclaste condescendant lorsqu’il salué l’accueil de « M. le maire » Gilbert Tsimi Evouna au lieu du « délégué du gouvernement » comme cela a été entendu dans les autres discours, ou encore que ses saillies étaient inspirées par les relations tendues en ce moment entre l’Union européenne et le Cameroun, en revanche aucun auditeur ne pourra valablement convaincre sur la volonté préméditée de cet «afroptimiste» de nuire ce pays, qui attend fiévreusement une élection présidentielle.

Georges Alain Boyomo | 29 Avril 2011| Mutations|

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