Christopher Fomunyoh: Les décisions du pouvoir sont porteuses de contestations violentes

Candidat très probable à la prochaine élection présidentielle, l’ancien responsable Afrique du National democratic Institute (Ndi) apprécie les contours du scrutin et réagit aux sujets d’actualité brûlante.

Le Cameroun vient de vivre la célébration de la fête nationale du 20 mai. Quel est votre sentiment sur cet événement ?
Dans l’ensemble mes impressions sont bonnes. Chaque moment que nous pouvons consacrer à une réflexion sur l’avenir de notre pays et à savourer certains acquis est le bienvenu, car l’unité nationale et la convivialité entre concitoyens se cultivent au quotidien. La journée du 20 mai nous donne l’occasion de le faire, surtout si l’on garde à l’esprit que c’est aussi une fête des populations à la base. J’ai apprécié la haute qualité du défilé militaire à Yaoundé sous le commandement de l’un des Généraux nouvellement promu, ce qui renforce ma conviction sur le nécessaire renouvellement de la hiérarchie de nos forces de défense et de sécurité. Pour ceux qui étaient habitués à voir les Semengue, Tataw, Nganso et autres pendant des décennies, c’était rafraîchissant de voir la jeune génération des officiers supérieurs prendre le relais avec tant de confiance et d’efficacité.
Cela rassure et donne du sens à la continuité de l’humanité, et sûrement qu’au niveau des civils, nous devrons aussi tirer les leçons qu’il faut. Cela dit; j’ai aussi pensé à la troupe. Aux jeunes soldats de deuxième classe, au caporal, fusilier, marin, Gendarme, gardien de la paix; à tous ceux qui ont de 18 à 20 ans et qui se sont mis au service du drapeau national avec dignité, honneur et fidélité, prêt à mourir pour la patrie, mais à qui notre code électoral refuse le droit de vote. Voila encore l’une des aberrations du code électoral dans notre République qu’il urge de corriger avant les prochaines échéances électorales.

Cette fête commémore la création de l’Etat unitaire. Presque 40 ans après, quelle est votre appréciation de l’unité et de l’intégration nationales au Cameroun ?
Effectivement, j’étais en secondaire au collège protestant de Bali en 1972, lorsque feu le président Ahmadou Ahidjo et l’honorable Solomon Tandeng Muna sont venus battre campagne à la chefferie de Bali en faveur du référendum. A l’époque Biya était déjà ministre à la présidence de la République. Aujourd’hui, presque 40 ans après, la même personnalité préside le défilé du 20 mai, il n’y a plus eu de référendum au Cameroun alors que la Constitution a été modifiée à plusieurs reprises, la dénomination république unie a disparu de la Constitution mais nous continuons à fêter, sans redonner l’opportunité aux Camerounais de s’approprier la signification des origines de la fête. Je trouve le Cameroun d’aujourd’hui plus fragile, plus fragmenté et moins uni que par le passé. Les frustrations se cumulent et nécessitent une plus grande attention et beaucoup plus d’ouverture de la part de ceux qui nous gouvernent.

Tout dernièrement, la loi sur Elecam et sur les conditions d’élection et de suppléance à la présidence de la République ont été modifiées. Quelle est l’analyse que vous faites de ces modifications ?
Pour ce qui est des conditions d’élection et de suppléance à la présidence de la République, je pense qu’augmenter la caution pour les candidats éventuels, n’est pas une mauvaise chose en soi. L’investissement financier est à la hauteur de la fonction à laquelle on aspire. Par contre, je trouve que fragiliser davantage la structure d’Elecam qui était déjà sujet à tant de critiques soulève beaucoup d’inquiétudes de la part de ceux qui œuvrent pour des élections crédibles et transparentes au Cameroun. D’une part, interdire à Elecam de communiquer les tendances et les résultats provisoires suscite des questions sur sa raison d’être. En même temps, ce qui est encore plus grave, laisser au Conseil constitutionnel l’exclusivité de la publication des premiers résultats, sachant que le Conseil statue en dernier recours, privent les candidats et partis politiques en compétition, la possibilité de marquer leur désapprobation en déposant des recours en justice et d’agir de toute autre manière paisible. Je ne comprends pas que le régime actuel pose de tels actes susceptibles de pousser les gens à des contestations extrajudiciaires et violentes. Sûrement que ceux qui conseillent nos décideurs dans ce sens ne leur rendent pas service, et l’Histoire nous donnera raison si cela n’est pas vite corrigé.

Avec le verrouillage du système électoral pensez-vous que vous pourriez remporter l’élection ?
Le verrouillage, selon moi, est un signe de peur et de faiblesse, sinon, il n’y a pas de raison qu’un parti qui se dit représentatif pose des actes qui puissent mettre en doute la légitimité de son candidat s’il remportait l’élection. A travers le monde d’aujourd’hui, il est de plus en plus difficile pour les élites politiques de priver les populations de leurs voix et je suis sûr que si la grande majorité des Camerounais se prononce en faveur d’un candidat, rien n’empêchera à celui-ci de gagner l’élection. Les actes que pose le pouvoir en place indiquent que, selon ses propres analyses, cette élection pourrait être remportée par un candidat de l’opposition.

On note en ce moment une réticence des populations à s’inscrire sur les listes électorales. Le chef de l’Etat a signé une décision rendant gratuite l’établissement de la carte nationale d’identité informatisée et le Rdpc a dépêché des équipes sur le terrain. Pour vous ces mesures sont-elles suffisantes pour régler cette question?
Effectivement, dans mes conversations de tous les jours, j’entends dire les raisons qui expliquent la démotivation généralisée de nos concitoyens à commencer par le manque de confiance dans la neutralité et l’impartialité des structures appelées à gérer les élections en passant par la lassitude de voir les mêmes visages à chaque élection alors que dans le monde d’aujourd’hui on voit émerger une nouvelle génération de candidats et d’acteurs politiques qui suscitent l’intérêt des populations lors des élections dans ces pays là. Il y a une discordance entre les discours dans lesquels certains responsables de la République parlent d’une élection gagnée d’avance et en parallèle, la gratuité de la carte nationale d’identité pour favoriser les inscriptions. C’est aussi ironique d’avoir attendu presque 10 ans pour constater que le citoyen ordinaire avait les difficultés financières pour établir la carte d’identité informatisée. Les Camerounais ne sont pas dupes. Il faudra toute une série d’actions combinées pour rassurer les électeurs et leur donner envie de participer au scrutin.

Vous avez suivi le débat sur la motion de soutien des universitaires à Paul Biya, quel est votre avis sur l’engagement des «profs» pour le chef de l’Etat ?
N’oublions pas qu’une première expérience nous avait été servie avant l’élection présidentielle de 2004. J’avais en son temps condamné cette démarche et je me demande quelle serait l’attitude de ces professeurs signataires de la motion si les étudiants décideraient de manifester en faveur de l’alternance et du renouvellement de la classe politique dans notre pays. Aujourd’hui je me félicite de constater qu’un nombre important d’universitaires se sont abstenus parmi lesquels les professeurs Mathias Eric Owona Nguini ; Claude Abé et Xavier Messè, pour ne citer que ceux-là. Ceux-ci nous rassurent au moins sur la volonté de certains de nos intellectuels à fuir le moule de la pensée unique, et la jeunesse montante leur doit reconnaissance.

Quel jugement portez-vous sur le recrutement annoncé de 25.000 jeunes à la Fonction publique camerounaise?
C’est bien mais ce n’est pas suffisant, car l’Etat ne peut prétendre résorber à lui seul le chômage par l’embauche de quelques jeunes à la veille des élections. Par ailleurs, certains de ces jeunes sont au chômage alors que leurs grands-parents, dont certains étaient en activité dans les années 60, sont toujours salariés de la Fonction publique. L’Etat gagnerait à créer un environnement institutionnel favorable à l’initiative personnelle et à l’émergence d’un secteur privé vigoureux et créateur d’emplois. Le chômage et le sous-emploi des jeunes sont préoccupants au premier plan et je suggèrerais une réflexion plus large allant jusqu’à nous poser la question de savoir s’il faudra réformer notre système éducatif afin de réorienter la formation des jeunes pour les rendre plus attractifs sur le marché du travail dans un monde globalisé.

Vous étiez à Yamoussoukro lors de l’investiture d’Alassane Ouattara comme président de la Côte d’Ivoire, quel commentaire vous inspire cette cérémonie ?
La cérémonie était très émouvante car il y avait des milliers d’Ivoiriens sortis pour manifester leur attachement à la réconciliation nationale après une période de conflit armé et de crise post électorale violente. J’ai trouvé le discours d’investiture du nouveau président Alassane Ouattara rassembleur, encré d’une détermination à prôner le dialogue, le pardon et la reprise de la fraternité et du travail pour que la Côte d’Ivoire puisse rebondir. C’était aussi impressionnant de noter la présence de plus d’une vingtaine de chefs d’état africains et du secrétaire général des Nations unies au moment où la Côte d’Ivoire voudrait bien retrouver sa place de pays phare de la sous-région.

Comme vous avez suivi cette crise dès le début, quelles leçons pouvons-nous tirer de cette expérience ivoirienne pour éviter que cette situation ne se reproduise au Cameroun ?
Nous avons beaucoup de leçons à tirer de cette expérience de la Côte d’Ivoire. Premièrement, il faut que les acteurs politiques sachent que dans le monde d’aujourd’hui chacun est tenu pour responsable des actes qu’il pose lorsqu’ils mènent à la perte de vies humaines. Plus de 3000 ivoiriens ont péri et des dizaines de milliers sont déplacés suite à la personnalisation du pouvoir d’Etat alors que cela aurait pu être évité si les règles du jeu avaient été acceptées de bonne foi par chacun avant les élections. Le fonctionnement des institutions chargées des élections ne devrait pas être considéré comme un simple acte administratif mais comme un devoir constitutionnel qui dépasse de très loin les affinités ou les préférences personnelles des individus appelés à gérer ces institutions.
Deuxièmement, le monde est en train de changer dans le sens où les structures sous régionales comme la Cedeao et l’Union africaine, les structures internationales Nations Unies et autre partenaires au développent manifestent de plus en plus leur désapprobation face aux régimes qui s’éternisent au pouvoir ou qui ne crée pas les conditions pour des élections crédibles et transparentes. Cette solidarité internationale pourrait accroître les chances de la démocratisation en Afrique surtout si elle était basée sur un consensus national sur les préparatifs et les conditions d’organisation des élections. En tout cas, en ce moment la Côte d’ivoire est sur la voie de la reprise du dialogue et de la réconciliation et je crois fermement que les Ivoiriens eux-mêmes sauront en tirer davantage de leçons. J’en suis convaincu.

Selon vous, est-ce que le Cameroun est à l’abri d’un printemps «subsaharien» à l’image du printemps arabe ?
Oui et non. Oui au sens où les contextes sont légèrement différents et non au sens où, à force de créer des conditions d’exclusion, à force de priver les citoyens d’une voie de participation aux élections transparentes, on finit par les pousser vers la rue. Les Camerounais, avec les moyens de communication d’aujourd’hui ; savent que Ben Ali en Tunisie est parti du pouvoir dans les conditions qu’on accroître après 24 ans d’exercice et Moubarak après 30 ans. Si demain Kadhafi n’est plus là, la moyenne de longévité des présidents africains serait d’environ 10 ans, ce qui faciliterait l’émergence d’une nouvelle équipe dirigeante à travers le continent. Notre population est assez sage pour en tirer les conclusions.

Serez-vous candidat à la prochaine élection présidentielle ?
En septembre 2010, j’avais eu l’occasion de dire à plusieurs reprises que je comptais me focaliser sur mon pays afin d’apporter ma contribution, aussi modeste soit-elle, à la consolidation de l’édifice national. Je continue d’estimer qu’il s’agira d’un travail collectif pour lequel chacun apportera son expertise et son expérience, ce qui mérite une très grande réflexion. A mon sens, cela ne cadre pas forcément avec des déclarations hâtives ou fracassantes, d’autant que, dans notre code électoral, la campagne ne dure que 15 jours et en dehors de cette période, tout meeting politique, toute conférence de presse dans un hôtel requiert l’autorisation de l’administration qui dépend de l’un des partis à la compétition. C’est une anomalie de plus du cadre juridique relatif aux élections dans notre pays. Il est plus important qu’on se focalise sur comment remédier à ces différentes entraves au processus de participation politique que de s’attarder sur une déclaration éventuelle.

Propos recueillis par Georges Alain Boyomo | 25 mai 2011 | Mutations|

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