QUI A TUE SERGE ALAIN YOUMBI ?

Dans toute communauté humaine civilisée, quand il y a un mort dans la rue, chacun s’arrête un instant. La mort nous concerne tous en effet, elle qui est le futur qui attend chacun de nous. La pause est encore plus nécessaire quand il s’agit de nombreux cadavres. Ce samedi 4 juin le match de football qui opposait les Lions indomptables aux Lions du Sénégal a eu une troisième mi-temps macabre dans nos quartiers, au cours de laquelle quatre jeunes camerounais ont perdu la vie. Le récit de leur mort situe celle-ci au cœur d’une colère liée au football qui dans notre pays, avec le soutien effectif des pouvoirs publics, a pris lieu de culte national.

Qui donc de la tête au plus bas de notre société peut reprocher à ces jeunes gens d’aimer notre équipe nationale de football, quand celle-ci est entretemps devenue le squelette qui nous unit tous encore dans l’espoir de gagner ? Qui donc peut leur reprocher la passion pour cela qui chez nous est dénommé à juste titre le sport-roi ? Qui peut vraiment leur demander de ne pas être déçus quand les Lions indomptables pour lesquels notre pays a si investi nos impôts, sont éliminés au bout de la roulette du hasard ? Car le cœur de qui d’entre nous ne s’est-il pas levé à ce moment du tir, pour s’écrouler à celui immédiat de l’échec de notre onze national ?

Les journaux font état des violences très dommageables qui ont suivi la fin du match dans le quartier Mfadena. Ils font état de jeunes qui s’en sont pris aux passants, aux véhicules, et qui ici et là ont exprimé leur rage en des propos très condamnables. A noter cependant est, comme le dit le rapport de Le Messager, que ces jeunes ont toujours montré du respect pour les insignes de notre pays, même si leur courroux était dirigé vers un joueur. Les journaux font état également de forces armées qui ont chargé tout le monde de manière indistincte, tabassant autant des passants que des journalistes. Ils font état de l’interpellation de jeunes en ces termes devenus péjoratifs chez nous, de ‘vandales’ et de ‘casseurs.’

Est-ce cette dégringolade du vocabulaire désignant nos petits frères qui a fait les forces armées utiliser des vraies balles pour les dissuader ? Car comme le précise Le Jour, ‘Quand les policiers sont arrivés à bord des camions anti-émeute, tout le monde courrait. Policiers et gendarmes se sont mis à tirer sur la foule.’ Je souligne, car la description est accablante ici : elle ne fait pas état de tirs préalables de sommation en l’air. Que les forces armées ont utilisé de vraies balles, qu’elles aient descendu des jeunes qui étaient sans défense déjà, est évident dans le récit macabre qui suit : ‘C’est alors que ce jeune homme est entré ici en criant ‘sauvez-moi, sauvez-moi !’, raconte Germain Ngoah, qui habite près du lieu où le cadavre a été retrouvé. Serge Alain Youmbi n’a pas pu être sauvé, le jeune homme de 20 ans a succombé après la balle qu’il a reçue au thorax.’

Serge Alain Youmbi tue par l'armee camerounaise apres la defaite des Lions Indomptables Avec Serge Alain Youmbi, trois autres jeunes camerounais ont ainsi trouvé la mort ce jour-là. Etonnant que deux jours plus tard, le président de l’Assemblée nationale, Cavaye Yéguié Djibril, qui prenait la parole pour l’ouverture de la session ordinaire de notre institution collective, n’ait pas adressé ces quatre cadavres sur le goudron de notre capitale, mais au contraire ait choisi à mots couverts de fustiger le président de la FECAFOOT, par ailleurs président de la Sodecoton. Quelle profonde déroute de notre sens de la dignité collective ! Qu’est donc devenu notre pays pour que les enfants d’autrui perdent la vie dans notre capitale dont une des avenues s’appelle Marc-Vivien Foé, par déception devant l’échec de notre équipe nationale, et que personne n’en est ému du sommet à la base de l’Etat, ni le président de la république qui se fait pourtant appeler ‘homme-lion’, ni encore moins les Lions eux-mêmes et leur capitaine lors de leur conférence ?

Bèbèla, dans quels caniveaux sommes nous tombés ? Sommes-nous encore une république ? A quand donc une commission d’enquête au plus haut niveau représentatif, parlementaire donc, qui nous dirait pourquoi les forces armées camerounaises, sans sommation aucune utilisent des vraies balles pour dissuader des jeunes supporters des Lions quand ceux-ci expriment leur opinion en public ? A quand donc une telle commission d’enquête, même si elle enterrait dans de la paperasse ces jeunes fauchés, à défaut de leur donner le sépulture national que chacun d’eux mérite ? Car est-il déjà devenu si ignoble d’aimer les Lions indomptables, que lorsqu’on est profondément déçu de leur échec et le fait savoir, on est poursuivi dans les sissongos par des soldats et fusillé à bout portant ; que lorsqu’on en meurt on est traité par la commune mesure de ‘casseur’ et de ‘vandale’, et abandonné dans la rue comme un vulgaire malfrat ? C’est qu’une question doit bien être adressée en effet : qui a tué Serge Alain Youmbi et les trois autres supporters des Lions indomptables ce 4 juin ? Oui : Qui a fait ça ?

Patrice Nganang | 9 Juin 2011|

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