Présidentielle 2011: Le chant du coq gaulois dans la basse-cour camerounaise

En l’espace de deux jours, le ministère français des Affaires étrangères a émis des sons de cloche discordants sur le scrutin du 9 octobre.

Le lieu et l’orateur attestent à eux seuls de l’intérêt que la France porte sur l’élection présidentielle du 9 octobre au Cameroun. Mardi dernier, Alain Juppé, le ministre français des Affaires étrangères a déclaré devant l’Assemblée nationale hexagonale que «la France considère que le déroulement de l’élection présidentielle dimanche au Cameroun est acceptable». Le patron du Quai d’Orsay indiquera du reste : «Ce que je peux vous dire, c’est que selon l’Organisation internationale de la Francophonie et le Commonwealth, qui ont suivi le déroulement de ces élections, on peut considérer aujourd’hui qu’elles ont eu lieu dans des conditions acceptables.

Nous appelons donc la population, la presse camerounaise et tous les acteurs politiques à faire preuve jusqu’au 24 octobre, date de proclamation des résultats et au-delà bien sûr, de modération et d’éviter tout recours à la violence pour faire valoir leurs vues». Empreinte de paternalisme et de conciliation (vis-à-vis du pouvoir de Yaoundé), cette sortie de Alain Juppé au Palais Bourbon tranche passablement avec celle du porte-parole du Quai d’Orsay, Bernard Valero, lundi dernier, qui, elle, était marquée par une certaine réserve et des injonctions à peine voilées. «Selon les premières informations, le vote s’est globalement déroulé dans le calme. Nous souhaitons que toute la lumière soit faite sur quelques incidents qui auraient eu lieu et que les autorités camerounaises établissent les responsabilités», avait affirmé M. Valero, au cours d’un point de presse.

En fait d’«incidents», le Quai d’Orsay faisait allusion aux deux gendarmes tués à Bakassi et à une dame, Virginie Takoguem, à qui la vie a été ôtée à Bandjoun, dans la région de l’Ouest. Deux évènements malheureux qui n’en finissent pas de révéler leurs mystères, en dépit des communiqués de presse du ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation, Marafa Hamidou Yaya, et du ministre de la Communication, Issa Tchiroma Bakary, au lendemain de l’élection présidentielle. Toutes choses qui jettent un faisceau d’interrogations sur les déclarations de Alain Juppé face aux députés mardi. Pourquoi une telle sortie alors que la lumière, demandée (exigée ?) par son porte parole reste pour le moins blafarde sur les «incidents» enregistrés le 9 octobre dernier? Les autorités camerounaises ont-elles déjà établi les responsabilités sur ces tristes faits? Par ailleurs, à quoi renvoie le terme «acceptable» accolé à l’élection présidentielle du 9 octobre dernier?

Fraudes
Joint au téléphone, l’ambassadeur de France au Cameroun, Bruno Gain, explique que «la déclaration de Alain Juppé est la position du gouvernement français sur la présidentielle au Cameroun. Elle s’inscrit en droite ligne de la politique française qui prête attention aux aspirations des populations, mais également aux impératifs de moderniser le pays et d’accentuer les reformes. Il y a eu certes de irrégularités qui attendent des modifications, j’en ai d’ailleurs fait part en toute sérénité aux responsables d’Elecam au cours de nos échanges d’hier [mardi, Ndlr], mais on a aussi enregistré des avancées qui méritent d’être saluées». Il n’empêche, les propos du ministre Juppé suscitent déjà une levée de boucliers parmi les candidats à l’élection présidentielle. «Nous savons tous les relations particulières qu’entretiennent M. Juppé, ministre des Affaires étrangères et maire de Bordeaux et M. Biya. Ce monsieur fait partie de ceux qui profitent des richesses du Cameroun.

J’aurais souhaité qu’il tienne le même discours lorsqu’il s’agissait de la Côte d’Ivoire. La France a loupé une occasion de se taire», martèle Albert Dzongang. «Je ne sais pas à quoi renvoie ce commentaire de M. Juppé. Le peuple camerounais est-il moins méritant de la démocratie que le peuple français? Je vois mal [en effet] les Français accepter des élections où il y a eu des fraudes, où l’on a surpris des gens avec plusieurs cartes, où les bureaux de vote ont ouvert largement après le délai légal. Je vois mal le peuple français en train d’accepter une élection où les urnes sont bourrées, où des actes de violence verbale et physique sont commis à l’encontre de citoyens qui n’ont pas voté à 100% pour le chef de l’Etat sortant, où les scrutateurs sont chassés des bureaux de vote, où le dépouillement se fait secrètement…», réagit Kah Walla. Quant à Garga Haman Adji, il se prononcera sur ce sujet et sur bien d’autres, très bientôt, au cours d’une conférence de presse.

Non ingérence et concessions
Interpellé par la presse française au mois de septembre dernier, sur le dépôt de la candidature de Paul Biya (78 ans, 29 ans au pouvoir) à l’élection présidentielle, le porte-parole du ministère français de Affaires étrangères, Bernard Valero, avait indiqué qu’il n’avait «pas commentaire particulier, c’est un problème de politique intérieure». Avant de souligner : «Ce que nous souhaitons, c’est que le processus politique, électoral qui va s’ouvrir se passe de la façon la plus normale et conforme aux règles constitutionnelles, institutionnelles de ce pays». Quelques semaines plus tôt, le ministre français de la Coopération, Henri de Raincourt se faisait sentencieux sur la position de la France relativement à la présidentielle camerounaise : «La France, de la manière la plus solennelle qui soit, affirme et personne ne peut prouver le contraire, qu’elle n’a pas de candidat […].La France souhaite que ces élections se déroulent le mieux possible et dans la transparence la plus totale».

Et de préciser que «la France fait confiance à la démocratie et qu’elle ne s’ingère pas dans la politique intérieure des pays africains». Sur la même lancée, Bruno Gain, l’ambassadeur de France au Cameroun avait déjà indiqué en juin dernier, lors d’un déjeuner débat à Douala, que «la France n’a pas de candidat au Cameroun […] La France respecte la souveraineté des peuples comme celle des Etats. C’est aux Camerounais de se prononcer et de faire leur choix. Combien de fois faudra-t-il répéter que la politique de la France est fondée sur deux principes constants : la non ingérence dans les affaires intérieures d’un Etat souverain et le soutien à la démocratie et à la liberté. Nous ne dévierons pas de cette ligne…».
Si l’on peut légitimement questionner ces différentes postures des officiels français à l’épreuve de la réalité, on notera tout de même que de Chirac à Sarkozy, des lignes ont bougé dans la démarche de la France par rapport au Cameroun. En effet, au lendemain de la présidentielle de 2004, Jacques Chirac, alors locataire de l’Elysée, avait adressé une lettre de félicitations à Paul Biya, bien avant la proclamation des résultats.

«Au moment où vos concitoyens vous renouvellent leur confiance pour un cinquième mandat à la présidence de la République du Cameroun, je tiens à vous adresser mes cordiales félicitations ainsi que mes voeux chaleureux de réussite dans votre haute mission. Je forme en particulier des voeux pour que sous votre conduite, le Cameroun demeure résolument engagé au service de la paix et de la stabilité sur le continent africain et dans le monde. Je suis certain que le Cameroun continuera à mobiliser ses énergies en faveur du progrès des reformes afin de relever tous les défis d’un développement durable et équilibré, je ne doute pas que vous aurez à coeur de maintenir à cet effet un dialogue soutenu et fructueux avec la communauté internationale», écrivait-il. Sans présager de quoi demain sera fait, on restera attentif sur la posture qu’adoptera Nicolas Sarkozy face à la «victoire programmée» de Paul Biya à la présidentielle. Ce d’autant plus que, d’après certains analystes, l’axe Paris-Yaoundé reste lourd d’équivoques malgré quelques «concessions» récentes entre Etoudi et l’Elysée. Des «concessions» qui transpirent déjà dans les premiers signaux qu’envoie la diplomatie française.

Georges Alain Boyomo

Réponse du ministre d’Etat, ministre des Affaires étrangères et européennes, Alain Juppé, à une question d’actualité à l’Assemblée nationale.
- Paris le 11 octobre 2011 -

(…) La France a suivi avec une particulière attention le déroulement des élections au Cameroun dimanche dernier. Il est encore trop tôt pour parler des résultats. Le taux de participation n’est pas encore connu. Ce que je peux vous dire, c’est que selon l’Organisation internationale de la Francophonie et le Commonwealth, qui ont suivi le déroulement de ces élections, on peut considérer aujourd’hui qu’elles ont eu lieu dans des conditions acceptables. Nous appelons donc la population, la presse camerounaise et tous les acteurs politiques à faire preuve, jusqu’au 24 octobre, date de proclamation des résultats, et au-delà bien sûr, de modération et à éviter tout recours à la violence pour faire valoir leurs vues.
S’agissant de la politique de la France en Afrique, vous avez d’ores et déjà, Monsieur le député, la réponse à votre question. Je dois vous dire que le gouvernement français, sous l’impulsion de François Fillon, et évidemment, sous la direction du président de la République, a tout lieu d’être fier de ce que nous avons fait, par exemple en Côte d’Ivoire.

Nous avons tenu à ce que le résultat des élections, validé par les institutions internationales, soit respecté. (…) Nous avons tout fait pour que le président légitimement élu,
M. Ouattara, accède au pouvoir et nous voyons aujourd’hui qu’un processus de véritable démocratisation se déroule en Côte d’Ivoire.
De même, nous avons soutenu le processus d’élections libres au Niger et en Guinée, où les choses avancent. Notre message à l’Afrique est donc très clair : nous demandons aux régimes en place de prêter attention aux aspirations populaires, de moderniser les gouvernements, d’engager des processus de reformes, de passer d’un processus démocratique à une vraie culture de la démocratie. Je crois que la politique de la France est claire et déterminée dans ce domaine.

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Posted by on Oct 13 2011. Filed under 2011 Election Reports, Featured, Politique. You can follow any responses to this entry through the RSS 2.0. You can leave a response or trackback to this entry

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