Forum Economique avec la Diaspora: Flop au Palais des Congrès

Le rendez-vous économique et commercial avec la diaspora, n’a pu s’ouvrir hier pour cause de divergences gouvernementales.

Y croient-ils vraiment ou refusent-ils tout simplement de se faire à l’idée que rien ne passe comme prévu? Alors que de toute évidence, l’ouverture de ce que l’on présentait alors comme étant le «premier forum économique et commercial avec la diaspora» n’aurait pas lieu, c’est avec enthousiasme que hier, 11 août 2010, sur les hauteurs du Palais des Congrès de Yaoundé, les Camerounais de l’étranger devisaient et accordaient des interviews aux journalistes venus prendre part aux échanges. A ce propos, Ariel Ngnitedem, professeur de finances publiques et de politique publique à la Southern University en Louisiane (Etats-Unis) et membre du comité scientifique d’organisation affirmait: «Ma présentation visera à démonter l’importance de l’implication de la diaspora dans le développement d’un pays comme le nôtre.

Je me suis basé sur l’expérience des pays comme l’Inde, le Mexique, la Chine, entre autres, pour démontrer comment la diaspora, selon différentes approches à aider au développement de ces pays». Sa compatriote, Véronique Lehman, directrice d’un établissement sanitaire en France a, pour sa part, estimé qu’elle devrait s’intéresser à la «prise en compte des conflits de valeurs entre les sociétés d’origine et d’accueil parmi les membres de la diaspora». Face à cet enthousiasme, personne pour dire, du côté du ministère du Commerce qui organisait la manifestation, à quelle heure commencerait la manifestation. A 14h30, soit plus de trois heures après l’heure retenue pour le lancement de ce forum, les hôtesses installées de part et d’autre de l’allée menant à la salle des conférences gardaient leur sourire et essayaient tant bien que mal de se distraire en se faisant des photos.

Au premier étage du Palais des Congrès de Yaoundé où devaient se tenir les travaux, il y avait du monde. Certains profitent du «retard» qu’accusent les organisateurs pour s’inscrire de justesse.

Onction du Pm

Ce sont, officiellement, 300 personnes vivant en dehors du Cameroun (Etats-Unis, France, Grande Bretagne, Japon…) qui, contactées par les ambassades du Cameroun dans ces pays respectifs, se sont inscrites et ont fait le déplacement de Yaoundé pour assister à cette première. Malheureusement, aux environs de 16h, les participants ont dû se rendre à l’évidence qu’il n’y aura pas de cérémonie d’ouverture, du moins pour cette fois.

Alors que certains de ces invités vidaient les lieux, des sources proches du ministère du Commerce, on confiait que «normalement la manifestation devait être organisée par le gouvernement camerounais. Le ministère du Commerce avait juste la charge de coordonner l’organisation de cette cérémonie. Malheureusement, à l’heure où nous vous parlons [hier, 16h], nous n’avons encore reçu aucune autorisation. Dans les services du Premier ministre, ils disent attendre le ok de la présidence de la République. Nous ne pouvons lancer la cérémonie sans l’onction du Premier ministre».

A l’immeuble étoile, c’est un tout autre argumentaire qui est développé par des sources proches du dossier. Elles affirment en effet que pour que le Premier ministre préside pareille rencontre ou autorise un membre du gouvernement à présider, il faut que «toutes les conditions techniques» soient réunies. Quelles sont ces conditions techniques? Motus et bouche cousue. Toujours est-il que d’après nos sources, c’est à la division en charge du Commerce, de l’Industrie et du Tourisme que supervise Mme Dikongue qu’il revient de préparer pour le Pm ce «dossier technique». Cette dernière, toujours selon des sources introduites, n’a pas estimé que pour l’heure, le gouvernement camerounais doive cautionner pareille initiative.

Des explications qui laissent pantois. D’autant que, avant l’arrivée des membres de la diaspora qui ont, pour la plupart, pris sur elles de financer leur déplacement, des rencontres préparatoires ont eu lieu au sein des différents représentations diplomatiques du Cameroun à l’étranger.
De plus, c’est depuis le 14 mai dernier que, dans le cadre de la conférence sur les cinquante ans du Cameroun organisée à l’hôtel Hilton de Yaoundé, le ministre du Commerce Luc Magloire Mbarga Atangana avait annoncé la tenue, ce mois, de ce forum. Un forum dont l’objectif était de réconcilier le gouvernement avec la diaspora qui lui a souvent fait le reproche de ne pas prendre au sérieux ses projets. Des Camerounais de l’étranger qui revendiquent le droit de vote. Mais également le soutien du Cameroun qui se refuse souvent de reconnaitre la qualité de sa ressource humaine.

Dorine Ekwè |12 Aout 2010| Mutations|

Quelle occasion manquée!

Dans un grand complexe multisport de Montreuil, une banlieue parisienne, de nombreux «sportifs du dimanche» se retrouvent chaque samedi pour leur maintien physique. Ils viennent de tous les horizons, ils sont aussi de toutes les races. Les Africains semblent être les plus nombreux.
Pendant la «pause au méchoui», un cadre malien échange avec quelques Camerounais. Il évoque avec enthousiasme son dernier voyage à Bamako au cours duquel, des échanges avec des membres du gouvernement leur ont permis de régler quelques entorses qui existaient dans le fonctionnement d’une banque créée spécifiquement pour convoler et gérer les envois financiers des Maliens de l’étranger vers leur pays natal. Il parle également avec une quinte d’orgueil des prochaines élections législatives du pays, et de l’implication des Maliens de France dans une campagne porte à porte qui les conduira à choisir à partir de leur pays d’accueil, le candidat du goût de chacun.

Les Camerounais pantois, écoutent ce discours comme prononcé par quelqu’un qui sort d’un autre continent que le leur. Ils se souviennent avec quelle condescendance certains de leurs compatriotes parlent des pays sahéliens du continent comme si le Cameroun, lui avait mille longueurs d’avance sur ces pays là. Quelle grosse erreur d’appréciation ! C’est plutôt le Cameroun qui se trouve en ce moment à mille lieux de recul par rapport à ces pays.
Le fiasco du forum que les Camerounais de la diaspora entendaient organiser à Yaoundé avec la participation totale du gouvernement en est une parfaite illustration. Cette diaspora s’est mise peut être à rêver trop tôt, que la méfiance que Yaoundé entretient sur eux s’est effacée subitement avec l’annonce, le 14 mai dernier par Luc Magloire Mbarga de ce forum. Ou que ce ministre est un utopiste, un naïf, un rêveur, ou alors il voulait tout simplement briser les forces conservatrices de Yaoundé, pour tenter de les pousser vers des attitudes audacieuses, modernes et patriotiques, susceptibles de booster l’économie du Cameroun, grâce aux apports multiformes de ses fils vivant dans d’autres sphères de vision, de perception et de conception.
C’était trop beau pour que le forum de Yaoundé se passât dans l’harmonie, la symphonie et le patriotisme.

On a prêté à la diaspora réunie à Yaoundé de vouloir échanger son implication dans le développement économique du pays contre son droit de vote. Cette hypothèse n’est pas vérifiée. Quand bien même elle s’avérerait réelle, la diaspora marchanderait là un droit contre un devoir. Tout Camerounais a le droit de voter ; lui interdire ce droit par le prétexte de son extraterritorialité est une aberration constitutionnelle qu’il faudra tôt ou tard corriger. Il a le devoir de s’investir avec les moyens de son choix dans le développement de son pays. Enfreindre à ce devoir serait également une double aberration politique. Les gouvernants devraient baliser le terrain, encourager des investissements intellectuels et financiers, sources de richesses et d’emplois.

Des pays comme le géant Inde d’aujourd’hui, le Maroc, la Tunisie , l’Algérie ou le Sénégal qui ont pris eux aussi depuis quelques années leur envol économique et social, intègrent profondément dans leurs stratégies de développement, l’implication de la diaspora, pendant ce temps, le Cameroun se méfie de la sienne pour des considérations purement électoralistes, car, si cette diaspora vote, elle qui vit dans un environnement où les principes démocratiques et moraux sont sacrés ; elle risquerait de transformer les résultats préfabriqués des urnes auxquels nous sommes malheureusement familiers.
Le pouvoir se méfie de la diaspora aujourd’hui, parce qu’il ne la contrôle pas, c’est vrai. Il se méfie également de toute réforme fondamentale susceptible de modifier ses conceptions sclérosées de fonctionnement. On se rappelle par exemple, qu’en 2007, le ministre Robert Nkili à qui on ne saurait reconnaitre ni un esprit frondeur vis-à-vis du pouvoir, ni un génie créateur particulier non plus, voulu apporter quelques réformettes à notre système de sécurité sociale médiéval ; il fut stoppé net par le palais d’Etoudi qui estimait qu’on ne lui en demandait pas tant.
Le forum de la diaspora est une grosse occasion manquée. Comme dirait l’autre, «c’est une bataille perdue, et non la guerre». Le Cameroun reste entièrement à construire ; aujourd’hui, demain et après demain. D’autres forums seront organisés, sans doute.

Xavier Messè