65è AG ONU :Quand Paul Biya esquive son bilan

C’est un peu l’histoire d’une classe d’élèves paresseux. À la fin de l’année, au moment du bilan, on se rend compte que personne n’a pu avoir la moyenne requise. Les élèves qui d’habitude suscitent l’espoir essayent de trouver des explications sur les raisons de leurs échecs. Quand vient le tour de l’un des plus cancres de la classe d’apporter lui aussi des explications sur les raisons de son échec retentissant, il se lève, se retourne vers le reste de la classe et cri : « Voyez vous chers camarades, nous avons tous échoué ». Evidement, personne parmi les autres élèves qui ont très souvent l’habitude de faire des efforts en classe n’a envie de rire face à une scène aussi drôle.

C’est un peu le sentiment que beaucoup ont eu lorsque le président Biya a lancé le 21 septembre dernier, d’entrée de jeu de son intervention pendant la réunion de haut niveau qui s’est tenue en marge de la 65è Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies. « Depuis l’adoption des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) il y a dix ans, l’évaluation du chemin parcouru montre que même si des résultats appréciables ont été obtenus, la réalisation de tous les objectifs à l’échéance de 2015 demeure incertaine. ». Le chef de l’Etat continue son propos en indiquant que « les Nations unies et l’Union africaine relèvent que si l’Afrique, pour ne parler que d’elle, a accompli des progrès remarquables dans la réalisation des OMD, le rythme voire la qualité des réalisations, n’incitent pas à l’optimisme mais au mieux à une satisfaction mesurée. » En le disant, Paul Biya sait très bien qu’il se trouve devant la face du monde. Et que ceux qui l’écoutent, au-delà des formules diplomatiques, attendent de suivre non pas le bilan global des échecs de l’ensemble des pays de planète, qui n’ont pas pu tenir aux promesses formulées il y a dix ans pour promouvoir les huit Objectifs du millénaire pour le développement (bilan global qui du reste avait déjà été fait par le secrétaire général des Nations unies), mais le bilan particulier du Cameroun ; pour que la communauté internationale puisse en tirer les leçons, et savoir comment soutenir les efforts de son pays. Loin d’une telle attente, le président de la République du Cameroun a préféré faire appel à une mobilisation planétaire : « Le mérite de notre rencontre de ce jour est donc d’offrir aux représentants des membres des Nations unies l’opportunité de réaffirmer leur engagement à accélérer l’atteinte des objectifs d’ici 2015. » Pour cela, le chef de l’Etat propose sa vision sur les OMD, qui consiste aujourd’hui en une articulation « autour de trois éléments qui me semblent essentiels à leur réalisation, à savoir : la concrétisation de l’objectif N°8 sur la mise en place d’un partenariat mondial pour le développement, l’accès à l’énergie et la création des emplois ».

« Ma vision des OMD »

Autrement dit, pour accéder à l’énergie et créer des emplois au Cameroun, le président du Cameroun, au pouvoir depuis 28 ans, en appelle au développement d’un partenariat mondial. « La complémentarité entre les OMD aussi pertinente qu’elle soit, ne devrait pas faire perdre de vue qu’il en est un qui conditionne la réalisation de tous les autres. Je veux parler de l’objectif N°8 », clame le chef de l’Etat Paul Biya. Et de continuer : « En effet, les efforts de mobilisation des ressources en faveur du développement sont tributaires de la mise en place d’un système économique et financier plus équitable, du traitement global du problème de la dette, de l’octroi d’une aide publique au développement stable, prévisible et efficace, de l’accès aux médicaments essentiels et de la réduction de la facture numérique. Si ensemble nous réussissons à relever ces défis, qui constituent des cibles de l’objectif N°8, je reste persuadé que tous les autres auront une chance de se concrétiser ».

Il s’agit là d’une proposition de solution pour atteindre les OMD, venant de l’un des doyens des chefs d’Etat africains, et qui apparaît assez particulière, en ce sens et qu’elle ne semble en tout cas pas loin d’un appel à une espèce de mendicité internationale pour les pays dits pauvres.

Refaire le bilan

Ce qu’on aurait pu attendre du président du Cameroun, leader incontesté des chefs d’Etat de l’Afrique centrale, est qu’il traduise à cette réunion de haut niveau en des termes clairs, les efforts qui ont été fait par son pays le Cameroun, et par la sous région d’Afrique centrale dont il peut légitimement être le porte parole, pour atteindre les 8 Objectifs du millénaire pour le développement. Et définir les blocages et difficultés qui se dressent sur le chemin du progrès et du développement du Cameroun et des pays d’Afrique centrale.

Mais, un peu comme pour séduire les partenaires au développement, présents à cette réunion dite de haut niveau, Paul Biya a préféré (pour l’instant) parler de la mise en œuvre du Document de stratégie pour la croissance et l’emploi (DSCE) en indiquant que ce DSCE s’articule « autour du développement des secteurs productifs et des infrastructures sans lesquels il n’est pas possible d’envisager une amélioration des conditions de vie des populations ».

Au final, à l’issue de cette intervention du président de la République à cette réunion de haut niveau à L’ONU, on est un peu resté sur sa fin. Un peu comme des enfants qui n’ont plus beaucoup l’habitude de voir leur père, et qui, après avoir appris qu’il va s’adresser au monde, loin d’eux, et sur leur situation virtuelle, étaient suspendus à ses lèvres, dans l’attente d’une annonce forte susceptible de changer leur vie quotidienne. Il n’est pas trop tard. Peut être que Paul Biya va se rattraper ce jour, lors de son intervention à la tribune de la 65è Assemblée générale. Il pourra certainement alors dire (pourquoi pas ?), comment il entend désormais prémunir les citoyens de son pays du choléra qui a déjà tué plus de 500 personnes au Cameroun.

Par jean.francois.channon | Jeudi 23 septembre 2010 | Le Messager