Ebolowa 2010: Le pouvoir opte pour un comice au rabais

Entre un Pm qui reprend le dossier au vice-Pm, et un président de la République mis sous pression par ses «frères du village», les prochaines semaines s’annoncent chaudes.

Le communiqué ayant sanctionné le dernier conseil de cabinet, tenu le 29 juillet dernier à l’Immeuble étoile à Yaoundé, est resté laconique mais rassurant sur l’avenir du prochain Comice agropastoral, prévu à Ebolowa cette fin d’année et sur lequel planaient beaucoup d’incertitudes. Jules Doret Ndongo, le secrétaire général des services du Premier ministre et commis au plumitif, indique ainsi qu’à la suite de l’exposé manifestement rassurant présenté par vice-Premier ministre, ministre de l’Agriculture et du Développement rural, Jean Nkuete, par ailleurs président du comité d’organisation, le Pm Philemon Yang «a prescrit aux membres du gouvernement concerné par l’organisation du comice de les intensifier et de rendre compte en temps réel des difficultés rencontrées».

Un paragraphe plus tard, l’on apprend que le chef du gouvernement «a demandé [au vice-Pm] de lui faire tenir un chronogramme intégré des préparatifs en cours, assorti de la date d’achèvement de chaque chantier». Tout est donc dans le sens de la formule contenue dans cette phrase qui, selon quelques membres du gouvernement ayant pris part au conclave, traduit bien une réalité : subtilement, le dossier du Comice a quasiment été retiré de Jean Nkuete et sera, désormais, directement coordonné par le Premier ministre en personne, qui a ainsi rappelé sa capacité de chef d’équipe déterminé à prendre ses responsabilités.
«On a certes demandé aux ministres concernés de rendre compte des difficultés rencontrées, indique une source à la présidence de la République, qui suit de près le dossier du Comice pour le chef de l’Etat. Mais on n’a pas remis en cause la formule de gestion financière proposée par le ministre des Finances, en particulier l’option d’un régisseur qui centralise les dépenses et qui, manifestement, ne plaît pas à tout le monde. Ce qui veut dire que les ministres devront se conformer aux procédures validées, et seront désormais jugés à leur capacité à respecter les échéances qui seront communiquées par le vice-Pm au chef du gouvernement. Après il faudra rendre compte.»

Coïncidence
Dans ce dossier où le vice-Premier ministre, Jean Nkuete, et le ministre des Finances, Essimi Menye, se livraient un duel à distance, la balance a – au moins provisoirement – penché en faveur du second, même si deux événements, survenus le week-end, sont encore venus brouiller les pistes. Il y a d’abord eu, en effet, dès son retour au pays samedi soir (on n’a toujours pas dit d’où il sortait), une rencontre entre des élites du sud du Cameroun et le chef de l’Etat, qui les recevait en urgence et à leur demande insistante.
Ceux-ci auraient demandé à Paul Biya de ne pas oublier d’où il vient et de ne pas valider l’organisation d’un Comice au rabais à Ebolowa, après tant d’années de patience et alors que les précédents rendez-vous du monde rural avaient toujours été un franc succès populaire, infrastructurel, organisationnel, financier et logistique.

Y avait-il une relation de cause à effet, ou alors le chef de l’Etat avait-il déjà reçu d’autres informations, par des sources diverses ? Toujours est-il que, pour son départ au Brésil, mardi en fin de matinée, pour une visite préparée de longue date, Paul Biya a fait modifier à la dernière minute la composition de la délégation qui l’accompagne, remplaçant en particulier le secrétaire d’Etat à l’Agriculture, Mme Clémentine Ananga Messina, par son patron, le vice-Pm en personne qui s’est ainsi envolé dans la suite officielle.
Simple coïncidence, le quotidien gouvernemental a publié mardi un simple communiqué annonçant la visite du président Paul Biya et son épouse au Brésil. Et c’est dans son édition d’hier, mardi, que Ct a publié la liste de la suite officielle du chef de l’Etat où, naturellement, en raison de son rang protocolaire, le vice Pm est le premier sur une liste où l’on retrouve, entre autres personnalités…
Essimi Menye, le ministre des Finances. Difficile alors de savoir ce qui a trotté dans la tête de Paul Biya. Se donne-t-il alors l’occasion de faire tranquillement le point avec son «vieil ami», à l’abri du tumulte camerounais, ou alors veut-il profiter de l’occasion pour lui passer un savon ? A moins de provoquer, entre les deux, une manière de confrontation ?

Doutes et certitudes
Ce qui semble constant et qui se dégageait, déjà, des travaux de jeudi dernier dans la salle des conseils des services du Premier ministre, c’est que le Comice agropastoral aura bien lieu cette fin d’année, même si la date exacte n’est pas encore précisée. Autre certitude : compte tenu du retard pris, les élites peuvent dire au revoir à la construction de l’hôtel 3 étoiles annoncé, qui devait être érigé dans le chef-lieu de la région du Sud à l’occasion. «La dépense a déjà été validée, et est prévue dans les 40 milliards de francs de budget provisionnés pour le Comice. L’hôtel est un acquis, mais sera construit plus tard et servira pour d’autres occasions», confesse, fataliste, une source introduite à la présidence de la République.
En conséquence, un «plan B» semble déjà acquis : les personnalités et cadres invités au Comice, seront transportés par des navettes spéciales de Yaoundé, tous les matins, et regagneront la capitale en soirée. Ce sont donc des hôtels de Yaoundé qui seront réquisitionnés pour la circonstance, au bénéfice des invités résidant hors de la capitale. Les autres officiels continueront d’occuper naturellement leurs maisons habituelles, qu’ils retrouveront tous les soirs.

Tous les autres invités, notamment les acteurs directs du Comice en charge de l’animation des stands, seront logés dans le «village» du prévu pour la manifestation et que devrait mettre sur pied la Fondation Inter-progress, selon un cahier de charges déjà validé et devant couter près d’un milliard de francs Cfa. La moitié de la somme y afférente a déjà été payée, indiquent des sources concordantes.
Ledit «village», selon des informations recueillies auprès de la Fondation Inter-progess, sera «étendu sur près de 40 hectares, et offrira des stands d’exposition pour les agriculteurs et éleveurs professionnels, les entreprises du secteur privé, les administrations et institutions nationales et internationales, mais aussi des espaces de démonstration pour les filières de référence de l’agriculture et de l’élevage, une place des fêtes avec un grand podium pour les artistes, un écran géant de jour et des tribunes pour accueillir le public, un grand espace de restauration tous publics et un lieu de vie et de commodités sanitaires pour l’hébergement des exposants».

Une source proche du Minader indique, cependant, que le montant initialement alloué à la Fondation Inter-progress intégrait la construction par le gouvernement d’un hôtel pour l’hébergement des nombreux participants. Du coup, la demande en gîtes vers le village du Comice, notamment de la part de tous ceux qui refuseraient de subir les affres des navettes quotidiennes en aller et retour (même si la route, en dehors de la demi-heure entre Yaoundé et Mbalmayo, est assez bonne), pourrait s’accroitre, autorisant du coup une rallonge du budget octroyé à la Fondation internationale Inter-progress.
Ce ne devrait pas être la chose la plus difficile, pour un projet global étonnamment liquide. Jusqu’à jeudi dernier, jour du conseil de cabinet en effet, quelque 500 millions de francs avaient été payés à Pierre Zumbach, et 250 millions sortis au titre de diverses dépenses de fonctionnement. Soit un total de 750 millions Cfa, sur une enveloppe globale de 40 milliards Cfa. Il y a encore du chemin pour arriver à Ebolowa…

Albert Biombi |5 Aout 2010|Mutations|